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contrôler les actes de la représentation nationale : et les corps municipaux tremblent, les administrateurs du district et du département cèdent, les ministres obéissent, l’assemblée même souvent capitule ! Qui sont ces gens ? On l’ignore. — D’où sortent-ils ? On ne sait pas au juste, — du plus reculé et du plus abject des bas-fonds sociaux, à ce qu’il semble. — Qui leur a conféré le droit de parler si haut et si fort ? Personne. Qui les a revêtus de cette sorte de magistrature innomée qu’ils prétendent exercer ? Leur présomption et leur audace. — Le pouvoir « gisait à terre, abandonné dans la rue[1]. » Ils l’ont ramassé en disant : « Bonne trouvaille, le pouvoir est à nous ! » Et le club est fondé…

Arrêtons-nous ici pour assister à l’apparition d’un de ces produits spontanés de l’anarchie. L’exemplaire que Toulon nous en offre est tel, qu’on en chercherait vainement ailleurs un autre aussi parfait. S’il est vrai que les clubs soient devenus un des rouages principaux du régime nouveau, le club de Toulon résume à merveille, en les portant à leur plus haut degré de puissance, les traits essentiels de l’institution. Il est le type accompli du conventicule jacobin : qui le connaîtra bien, connaîtra tous les autres. Déterminer, ainsi qu’on se le propose, les origines de ce club, les élémens, — promptement modifiés, — qui concoururent à sa formation, l’esprit dont il fut animé, ses procédés d’action, la nature enfin de la domination qu’il s’arrogea : ce n’est donc point enfler à plaisir l’importance médiocre d’un cas particulier, spécial à la ville de Toulon et qui n’intéresse qu’elle. C’est prendre connaissance d’un phénomène qui s’est produit simultanément sur une foule de points en France, — avec moins d’intensité peut-être qu’à Toulon, mais dans des conditions absolument identiques ; — c’est, en un mot, dégager la philosophie générale du fait qui a peut-être influé, de la façon la plus décisive, sur la marche de la Révolution, qui a le plus efficacement contribué à lui imprimer un caractère de violence, et à la précipiter dans les voies de la démagogie. Cette analyse est d’autant moins hors de propos, que l’histoire de Toulon, pendant la période révolutionnaire, est étroitement mêlée à l’histoire de son club, ou plutôt que les deux histoires n’en font qu’une. Histoire tragique et sanglante : car dans aucune ville de France, — pas même à Paris, peut-être, — la liberté ne fut souillée par de pires excès.


II

Dès les premiers jours de la Révolution, « une société populaire » ou « patriotique » s’était constituée à Toulon, comme dans

  1. Taine, Révolution, II, p. 40.