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d’Aristote, tandis que même la scolastique du XIIe siècle ne connaissait Platon que de seconde main, et que Pétrarque osait à peine exprimer ses préférences pour l’Académie, — à Constantinople on s’était, dès le XIe siècle, mis avec ardeur à étudier Platon à côté d’Aristote[1]. » Psellus et Jean Italos se distinguent parmi ces nouveaux adeptes du platonisme. Plus tard, au XVe siècle, Pléthon, qui aurait mérité une notice spéciale dans le livre de M. Krumbacher, aida à répandre en Italie les idées du grand disciple de Socrate ; il alla même jusqu’à vouloir renouveler le christianisme par le platonisme.

Nous ne nous sommes occupés jusqu’ici que d’histoire et de philosophie, mais une littérature n’est pas complète, à moins de produire des œuvres d’imagination. N’en a-t-il point existé parmi les Grecs pendant ces dix siècles ? Que lisait-il, ce public, où cherchait-il ses délassemens intellectuels ? Comment s’amusait-il ? Le théâtre, paraît-il, n’était plus qu’un cirque ; on n’avait pas de journaux ; les débats parlementaires n’existaient point, et si l’on s’intéressait, autant que de nos jours, aux crimes célèbres, il est à supposer qu’on n’en publiait pas les comptes-rendus. Comment suppléait-on à tout ce qui manquait de ce chef ?

D’abord, on avait le roman.

M. Krumbacher est bien loin d’être un admirateur du roman byzantin. Il en déplore le ton déclamatoire, la convention, le manque de vérité, et en attribue l’infériorité esthétique aux conditions même de la société à laquelle il s’adressait. « Les personnes qu’on nous y représente, dit-il, ne sont que des ombres, les paysages sont faux ou nébuleux, rien de distinct, rien de réel ; la forme et la couleur sont vides et sans âme. Ces romanciers semblent n’avoir jamais jeté les yeux sur un modèle vivant. Renfermés dans la poussière d’un musée, ils ne travaillent que d’après des moulages. Ils sont les antipodes des Flaubert, des Zola, des Keller, des Dostoïewski, des Tolstoï. » Rien de plus mérité que ces critiques. Seulement, nous croyons que l’on pourrait appliquer aux romanciers ce que notre auteur a dit au sujet des historiens : ne pas leur en vouloir s’ils n’ont pas devancé leur temps. Les Flaubert et les Tolstoï sont un produit du XIXe siècle et ils n’auraient pas pu éclore dans le moyen âge ou dans l’antiquité. Il y a peut-être aussi quelque injustice à condamner un genre tout entier, en ne le prenant que dans sa décadence. Si, comme nous en avons exprimé le souhait en commençant, M. Krumbacher avait compris dans son cadre le ive siècle, il aurait rattaché le roman byzantin à Daphnis et Chloé

  1. Krumbacher, p. 171.