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mémoire y est célébrée comme une fête à la fois religieuse et académique. Cette fête collective a été instituée en 1100, sous le règne d’Alexis Comnène, comme la consécration d’un sentiment déjà séculaire. Dans les tropaires, chantés en leur honneur, ils sont nommés « les luminaires qui ont embrasé l’univers, — les fleuves coulant le miel de la sagesse, — les hérauts saints inspirés de Dieu. » Sous ces hyperboles poétiques il y a un grand fonds de vérité. Les pères de l’église ont imprimé à l’intelligence grecque le pli qu’elle a gardé pendant de si longs siècles. Nous ne voulons point parler ici des disputes dogmatiques qui ont tenu une si grande place dans l’histoire de l’Orient hellénique ; nous laissons de côté la littérature théologique, que M. Krumbacher n’a pas, du reste, fait rentrer dans son cadre, malgré son importance au point de vue de l’influence qu’elle eut, en général, sur le mouvement des esprits. Mais, même dans la littérature purement laïque, on voit toujours percer le sentiment chrétien et les préoccupations religieuses. Sous le style de l’écrivain qui s’attache, plus ou moins heureusement, aux modèles antiques, on découvre, le plus souvent, l’homme nourri de lectures ecclésiastiques.

Sans doute, au milieu de cette rénovation religieuse, l’esprit antique subsiste toujours. Le paganisme ne fut pas détruit du jour au lendemain. Les historiens Dexippe, Eunape et Zosime sont païens ; Proclus jette un nouvel éclat sur le néo-platonisme, au milieu du Ve siècle : même dix siècles plus tard, Pléthon apparaît comme un novateur, inspiré des doctrines antiques. Mais ce sont là des exceptions. Depuis le ive siècle, le monde est devenu chrétien ; l’esprit religieux est la note dominante dans le mouvement intellectuel des Grecs. Ce n’est pas là la seule explication de leur déclin littéraire. La théologie n’est pas nécessairement fatale aux écrivains. Hier encore elle était qualifiée « d’excellente école de dressage pour l’esprit. » On affirmait, non sans raison, que de « Talleyrand à Renan, diplomates ou savans, tous ceux qui ont passé par les bancs des séminaires en sont sortis plus prestes et plus agiles. » Seulement, pour que cet heureux résultat se produise, il faut que les leçons théologiques soient tempérées par un souffle de liberté, qui manquait dans l’atmosphère politique d’alors. Quoi qu’il en soit, il nous semble que la place attribuée, par les Grecs, aux pères de l’église ne constitue pas une erreur historique et qu’il serait plus sûr de remonter plus haut que ne l’a fait M. Krumbacher, c’est-à-dire jusqu’au IVe siècle, si l’on veut faire un tableau complet du mouvement d’idées dont Constantinople fut le centre et le foyer.

Si l’on ne peut pas facilement préciser la date où commence la