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appuyer le mouvement rétrograde qui commence sur tout le front. Les troupes royales suivent d’assez loin, et tout se passait comme il avait été prévu et réglé, lorsqu’un incident vint troubler l’économie générale de l’opération. La petite batterie établie près de l’église Sainte-Marguerite (rue de Charonne) a été si bien consolidée, qu’on ne peut plus retirer les pièces ; or, M. le Prince a défendu d’abandonner le canon. La colonne de gauche se trouve arrêtée. Turenne s’en aperçoit, presse son mouvement, celui de Navailles. Tout à coup un flocon blanc s’élève de la plate-forme de la Bastille ; le canon retentit une fois, deux lois, puis une volée tout entière. Cris de joie dans l’entourage du jeune roi : c’en est fait de M. le Prince, Paris a ouvert le feu contre lui ; et un éclair illumine le visage de Mazarin, encore tout bouleversé par les tristes nouvelles qu’il venait de recevoir. Les plus empressés appellent le carrosse que la Reine a fait préparer et qui va conduire M. le Prince au cachot, d’où il ne sortira que pour monter à l’échafaud. — « Mais non, s’écrie le maréchal de Villeroy, c’est sur nous qu’on tire ; » et il montre la profonde colonne qui oscille et s’arrête, sillonnée par cette ondulation sinistre que trace le boulet. — Les bourgeois qui gardaient la courtine de l’Arsenal suivirent l’exemple du gouverneur de la Bastille, ouvrirent le feu sur la cavalerie qui débouchait du côté de Bercy. Partout l’attaque était manquée, les Condéens hors d’atteinte ; il se faisait tard. Turenne donna le signal, renvoya toutes les troupes. La Bastille canonnant l’armée du Roi ! C’était bien la fin de la journée. Le maréchal regagna tristement son quartier-général de la Chevrette, et le carrosse qui devait emporter Condé enchaîné, ramena Louis XIV aux Carmélites de Saint-Denis, où il retrouva sa mère encore prosternée devant l’autel.


HENRI D’ORLEANS.