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souverains légitimes pour cause de papisme, l’alliance qui n’est fondée sur aucun rapport d’institution, de croyance ou de mœurs, ne peut être qu’accidentelle et doit cesser avec la combinaison de circonstances qui l’a lait naître. Après tout, ce que la politique anglaise appréciait dans l’alliance autrichienne, c’était le concours d’une grande force militaire dont les canons étaient braqués contre la France, et qui complétait par de gros bataillons la très petite armée qu’elle peut elle-même envoyer au dehors. Il lui fallait aussi une grande alliance continentale pour être libre de consacrer toutes ses ressources à établir et à exercer sa domination sur les mers. Mais voici qu’il peut attendre ce double service dans des conditions égales, sinon supérieures, d’une puissance bien plus rapprochée d’elle par des affinités de foi et de race : dès lors, entre l’alliée d’hier, déjà très affaiblie, qui devient exigeante et impatiente, et celle qui s’offre avec toute l’audace de la jeunesse et de la victoire, sa préférence ne peut être douteuse, et s’il est nécessaire de choisir, elle ne regrettera pas l’échange. S’il faut affronter de nouveau, même sur terre, la fortune des combats, l’Angleterre n’est pas certaine que du sein de sa propre armée s’élèvera un second Marlborough, mais elle peut déjà compter qu’en fait d’auxiliaire elle trouvera dans Frédéric plus grand que le prince Eugène.

Ainsi délaissée par l’Angleterre, trop fière pour essayer de s’en rapprocher, inquiète pour sa propre sécurité des pièges que peut lui tendre à toute heure un voisin sans foi et sans scrupule, n’ayant renoncé d’ailleurs ni à la revanche, ni à la vengeance, à qui Marie-Thérèse aurait-elle recours, sinon à la France ? Quel autre espoir, quel autre appui possible lui reste ? Assurément, il est dur d’implorer le secours, et de se mettre ainsi à la discrétion de l’ennemi héréditaire. Elle aussi a bien des préjugés à vaincre, bien des souvenirs de gloire et des ressentimens d’injure à effacer. Mais le temps presse, la nécessité commande, et Marie-Thérèse n’est pas d’humeur à faire à moitié ce qu’elle entreprend. Aussi avec quelle ardeur elle tend tout de suite les bras à la France ! On dirait que, n’était l’orgueil impérial qui la retient, elle va se jeter à ses pieds. Rechercher presque à tout prix l’alliance française, c’est la seule instruction que son confident Kaunitz emporte à Aix-la-Chapelle, et il se croit un moment à la veille de la remplir. Déçu par la brusque signature des préliminaires, il se remet à l’œuvre dès le lendemain pour renouer les fils brisés de sa négociation clandestine. La paix ne découragera ni lui, ni sa souveraine : c’est à Vienne surtout que cette paix ne paraît qu’une trêve, et Kaunitz va passer tout droit d’Aix-la-Chapelle à Paris comme ambassadeur, afin que,