Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et cette indigne paix qu’Aragon nous procure
Est pour eux un triomphe et pour nous une injure.
Hélas ! avez-vous donc couru tant de hasards
Pour placer une femme au trône des Césars ?
Pour voir l’heureux Anglais, dominateur de l’onde,
Voiturer dans ses ports tout l’or du Nouveau Monde ?
Voilà le fils de Stuart, par vous-même appelé,
Aux frayeurs de Brunswick lâchement immolé.
Et toi, que les flatteurs ont paré d’un vain titre,
De l’Europe, aujourd’hui, te diras-tu l’arbitre,
Lorsque dans tes États tu ne peux conserver
Un héros que le sort n’est pas las d’éprouver,
Mais qui, dans les horreurs d’une vie agitée,
Abandonné de tous, fugitif mis à prix,
Se vit toujours du moins plus libre qu’à Paris[1] ?

Un autre factum, dont on ne peut citer que quelques vers, se terminait également par une apostrophe à Louis XV, plus amère et plus injurieuse encore :

George, dis-tu, t’oblige à refuser l’asile
Au vaillant Édouard : s’il t’avait demandé,
Roi sans religion, que ta p….. s’exile,
Réponds-moi, malheureux : l’aurais-tu concédé ?

Dans toutes les pièces du monde, c’est le dénoûment qui reste gravé dans la mémoire des spectateurs. Ainsi, un incident, au fond sans importance, allait marquer d’une note de déshonneur et d’humiliation une paix chèrement achetée et dont on contestait déjà les avantages. Bête comme la paix, disait-on, par une expression qui courut et qui fit fortune. Avec plus de justice encore et non moins de sévérité, on aurait pu appliquer la même qualification, non pas à la paix seulement, mais à la guerre elle-même, qui, mal engagée, le plus souvent mal conduite, finissait sans profit, sans éclat, sans que ni le génie de Maurice de Saxe, ni la gloire de Fontenoy, eussent pu réparer l’erreur et la faute du premier jour.


Le présent ainsi péniblement réglé, que devait-on espérer ? Que n’avait-on pas à craindre de l’avenir ! C’était la question que tout le monde se posait et que chacun s’apprêtait à résoudre dans le sens de ses intérêts et de ses passions. Quelque chose manquerait donc à la conclusion de ce long récit si, avant de tourner la dernière page, je ne rappelais quels devaient être, dans une situation qui demeurait si incertaine, les vœux et les desseins avoués ou secrets des diverses puissances.

  1. Journal de Barbier, novembre et décembre 1748 ; Journal de Luynes, t. IX, p. 60 et suiv. ; Journal de d’Argenson, t. V, p. 280 et suiv.