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à Fribourg, une retraite que, malgré les menaces de l’Angleterre, les magistrats de ce petit canton ne craignirent pas de lui offrir. Enfin, pour rompre les liens les plus chers qui l’attachaient au séjour de Paris, on fit défense à sa maîtresse, la princesse de Talmont, de le recevoir chez elle ; elle dut se conformera cet ordre, de sorte que, se présentant à sa porte, il la trouva fermée, et qu’essayant de la forcer, il fut arrêté par le poste voisin, accouru pour s’opposer à cette violence. Rien n’y fit, le prince persista dans sa résistance, affectant même de se montrer avec ostentation dans les lieux publics. « Il verrait bien, s’écriait-il, si on oserait mettre la main sur lui, et d’ailleurs, il était décidé à ne pas sortir vivant de France, de sorte qu’il faudrait ou le tuer ou le laisser se tuer lui-même, si on voulait être délivré de lui. » Au duc de Gesvres qui venait une dernière fois le sommer d’obéir à l’ordre royal : « Sans le respect que je dois au roi, lui répondit-il, je ne vous laisserais pas sortir comme vous êtes entré. » Enfin, averti un soir que les deux seigneurs qu’on gardait en otages devaient assister à la comédie, il vint se placer en face d’eux pour faire lever toute l’assistance à son arrivée, et se faire rendre par ceux qui l’entouraient les honneurs dus aux princes royaux.

Après avoir supporté cette bravade pendant plus d’une semaine, il devenait impossible de laisser défier à ce point l’autorité royale et compromettre sans profit le repos public. Ordre fut donc donné par le conseil des ministres, réuni sous les yeux du roi, de faire finir le scandale, en arrêtant le prince le jour où il essaierait encore de se montrer de nouveau dans une réunion publique. Ce fut à l’Opéra qu’eut lieu cette triste exécution, et quoi qu’on pût faire, malgré tous les soins pris pour en adoucir la rigueur, l’emploi de la force ayant toujours plus ou moins un air de brutalité, rien ne put empêcher que les circonstances prissent un caractère repoussant et presque cruel. La salle de l’Opéra était alors contiguë au Palais-Royal, demeure du duc d’Orléans : on demanda au duc, qui n’y consentit qu’à regret, l’autorisation de faire passer, par les cours intérieures du palais, des gardes qui, déguisés en bourgeois, se trouvèrent en face du prince au moment où il descendait de son carrosse. D’autres agens apostés fermèrent au même moment le passage derrière lui. On le saisit, en lui mettant la main sur les deux bras pour l’empêcher de tirer son épée et on le conduisit en étouffant ses cris jusqu’à une rue écartée où l’attendait le duc de Biron avec un carrosse à six chevaux pour le conduire à Vincennes. Il se débattait violemment, et bien qu’on eût eu soin de lui enlever tout de suite un pistolet et un poignard qu’il portait sur lui, on craignait tellement qu’il n’eût quelque autre arme cachée dont il pût faire usage contre lui-même ou contre ceux qui le détenaient, qu’on