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plus difficile à obtenir d’elle ; mais elle céda à l’assurance qui lui fut donnée que la pragmatique sanction de Charles V serait mentionnée dans le traité, comme l’une des bases de la paix, et qu’une consécration nouvelle serait ainsi donnée à ce qui subsistait encore de cet acte, après toutes les violations et les atteintes qui y avaient été portées. Quand des points de cette importance étaient réglés, que pouvaient signifier les contestations, encore assez vives, élevées par l’Espagne au sujet de la date fixée pour l’expiration du néfaste contrat de l’asiento et des cas où l’apanage constitué à Tintant devrait faire retour à ses anciens possesseurs ? Ces discussions stériles faisaient seulement voir que chacun, étant mécontent, ne cédait qu’à regret et ne subissait la nécessité qu’en la maudissant. Ce fut par suite de ce sentiment de mauvaise humeur générale que le traité, signé entre les plénipotentiaires de France, d’Angleterre et de Hollande, le 18 octobre 1748, ne reçut qu’après quelques jours et même quelques semaines d’attente, l’accession de l’Autriche, de l’Espagne, et même de la Sardaigne. Toutes ces puissances tenaient à bien établir qu’elles n’abandonnaient pas volontairement leurs prétentions, mais qu’elles n’en faisaient le sacrifice provisoire qu’au bien des peuples et au repos général de l’Europe : — « Nous entrons dans une maison de carton, dit Kaunitz, il faudra voir si on pense en faire quelque chose de plus solide[1]. »

Chose singulière, une des premières accessions qui vinrent s’ajouter à la signature des plénipotentiaires, ce fut celle de Frédéric qui, pourtant, s’était tenu jusqu’à la dernière heure à l’écart de la négociation et s’était refusé constamment à accorder à l’Autriche, en échange de ce que le traité lui attribuait à lui-même, la réciprocité qu’elle réclamait et qu’on avait fini par lui accorder. Son historien et son panégyriste, Droysen, s’étonne de cette contradiction et finit par en donner une explication qu’il croit véritable : c’est, suivant lui, que, n’ayant aucune confiance dans la durée de la paix, Frédéric ne voulait pas se trouver isolé en Europe le jour prochain et probable où de nouveaux conflits éclateraient, ni être signalé d’avance comme un trouble-fête qui conspirait dans une retraite maussade contre le repos commun. Il craignait de paraître préparer et provoquer le retour des troubles qu’il prévoyait. Ainsi, ajoute l’historien allemand, voyant l’horizon se charger de nuages, il voulait éviter tout ce qui les ferait amonceler sur sa tête[2].

  1. L’adhésion de l’Autriche est du 8 novembre, celle de l’Espagne du 20 octobre, la Sardaigne ne fit accession que le 20 novembre. — (Beer. Friede von Aachen, p. 89.)
  2. Droysen, t. III, p. 501-502. — L’accession de Frédéric fut offerte par lui, mais ne parait pas avoir été effectivement donnée, on n’en trouve pas la trace officielle dans les archives de Berlin. — Droysen, t. IV, p. 9.