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invariablement bons de ma part ; qu’au reste je me donnerai bien de garde de parler à l’avenir, de quelque façon que ce puisse être, d’affaires soit avec le marquis de Valori ou tel autre ministre étranger. Vous ne manquerez pas de faire toutes ces insinuations au marquis de Puisieulx d’une manière tout à fait honnête et des plus convenables. »

Avant d’accomplir cette commission si peu digne, Chambrier crut pouvoir demander à son souverain si vraiment il voulait faire à Valori un tort qui l’exposerait certainement à être révoqué : a Car c’est toucher, disait-il, une corde si délicate auprès du roi de France et du marquis de Puisieulx que rien ne pourra faire excuser ici le marquis de Valori,.. et on ajouterait en augmentation de déplaisance contre lui son peu de légèreté à se tirer des plaisanteries de Votre Majesté[1]. »

Frédéric n’avait, en réalité, aucun désir de se séparer d’un représentant de la France dont il croyait connaître de longue date le fort et le faible, qui, s’il lui avait quelquefois résisté, ne l’avait jamais desservi. Courant donc encore de nouveau après ses paroles, il ne crut pas pouvoir mieux faire que de charger Valori lui-même d’aller en son nom s’expliquer à Versailles sur les reproches qu’ils avaient encourus en commun. Le pauvre marquis avait obtenu un congé, assurément très mérité, car il n’avait pas quitté son poste un seul jour pendant les sept laborieuses années de la guerre, et quelles épreuves n’avait-il pas dû traverser ! Le roi le convia à dîner la veille de son départ, et avant et après le repas, eut avec lui une conversation dont il l’engagea à prendre note sur ses tablettes à mesure qu’il parlait. Il s’exprima alors absolument avec le même accent de franchise que peu de jours avant avec l’agent anglais, et le lecteur jugera lui-même si la ressemblance du ton n’est pas justement ce qui fait le mieux ressortir la différence de langage. Il aborda tout de suite le sujet des rapports qu’on lui supposait déjà avec le cabinet anglais. — « Je vais vous dire, lui dit-il, de quoi il s’agit. Les Anglais m’ont proposé une alliance et en même temps le mariage du duc de Cumberland avec ma sœur. J’ai répondu au premier article qu’avant de donner une réponse sur ce point, il fallait savoir le but de l’alliance proposée, et la nature des engagemens qu’on voulait me faire contracter. Quant au mariage de ma sœur, ma réponse a été purement négative, et en effet, si je ne trouve pas un roi ou un prince, je la garderai ; nous avons de quoi la nourrir, et je ne la crois pas

  1. Frédéric à Chambrier, 19-29 juin 1748. Pol. Corr., t. VI, p. 143 et 155. — Chambrier à Frédéric, 19 juin, 26 juillet 1748. — (Ministère des affaires étrangères.)