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La Croix, maître des Comptes, et fit appeler M. le Prince. C’était le moment où Turenne repoussé suspendait le mouvement offensif pour préparer un assaut général et définitif. Les troupes du Roi manœuvraient en arrière du front de combat, occupant par des grand’gardes les positions qu’elles avaient gagnées. L’infanterie de M. le Prince se fortifiait dans les maisons qu’elle avait reconquises ou conservées ; les cavaliers, pied à terre, se défilaient de leur mieux derrière les murailles des cours ou des jardins ; l’artillerie assurait à ses pièces des plates-formes et des abris improvisés. Un morne silence régnait dans les rues désertes du faubourg, à peine rompu par de rares coups de feu échangés aux points de contact. Condé pouvait se rendre au pressant appel qui venait de lui être adressé.

Soudain, il apparaît devant Mademoiselle, l’épée nue à la main (il avait perdu le fourreau), la cuirasse martelée de coups, la chemise tachée de sang, les cheveux tout mêlés, les yeux étincelans à travers le masque de sueur et de poussière qui couvrait son visage, terrible et sublime ! A peine est-il en présence de la princesse que les larmes éteignent le feu de son regard ; il tombe en pleurant sur un siège : « Pardonnez à ma douleur ! J’ai perdu mes amis, tous mes amis ! — Après cela, que l’on dise qu’il n’aime rien, » s’écrie Mademoiselle. — Elle le rassure sur le sort de quelques-uns et lui annonce que Paris est ouvert. Condé se remet, baise la main qui vient de sauver ses soldats, ajoute quelques mots d’instruction et retourne en hâte au faubourg. Le calme menaçant qu’il avait laissé derrière lui ne lui faisait pas illusion. Chemin faisant, il presse la marche des voitures, déblaie la route, congédie ce qui reste de la troupe plus que décimée des seigneurs et volontaires ; puis il court à l’abbaye Saint-Antoine, monte au clocher ; de ce point élevé et central, sa vue embrasse la position de ses troupes et les préparatifs de l’armée royale.

Le maréchal de La Ferté entre en ligne : son infanterie relève au bout de la rue de Charonne les deux régimens des Gardes et de La Marine, presque anéantis ; l’artillerie arrive et se répartit entre les trois attaques. Navailles conserve son carrefour sur le chemin de Charenton ; il est renforcé et mènera la gauche. Turenne conduira l’ensemble : sa place est au centre, sur le chemin de Vincennes ; une partie de sa cavalerie a mis pied à terre. Il attend que le développement soit terminé, et veut surtout voir arriver à hauteur deux partis chargés de mouvemens tournans : l’un, à droite, tâchera de gagner la contrescarpe du côté de la Courtille, l’autre, à gauche, descendra le long de la Seine et s’efforcera de se glisser entre la muraille et l’arrière-garde ennemie.