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neutralité. La France, ajouta-t-il, avait mis tout en œuvre pour le décider à lui venir en aide par une action de cette nature, mais il s’y était constamment refusé ; il avait assurément toute raison de n’être pas satisfait de la conduite de la France à son égard : mais, d’un autre côté, il avait reçu d’elle tant de services et d’assistance dans ses premières difficultés, qu’il se faisait un point d’honneur de ne pas prendre parti contre elle. Il désirait donc voir la tranquillité générale rétablie, et quand il n’aurait plus de ménagemens à garder avec la France, il serait prêt à s’unir d’une façon aussi ferme que cordiale avec les puissances maritimes[1]. »

Pas plus tard que le lendemain, la condition était remplie, puisque la nouvelle de la signature des préliminaires se répandait comme un éclair dans toute l’Allemagne. Frédéric, en mettant ainsi sa pensée à découvert, avait-il eu une communication anticipée de ce brusque dénoûment ? On ne peut le supposer, puisque tout s’était passé, on l’a vu, à huis-clos et en quelques heures, dans le cabinet du ministre d’Angleterre. Il est probable que c’était d’un côté opposé qu’il regardait, et qu’informé des relations intimes qui avaient existé jusqu’à la veille de la signature des préliminaires entre Kaunitz et Saint-Séverin, et plus inquiet qu’il n’en voulait convenir de ce qu’il appelait ce chipotage entre la France et l’Autriche, il se mettait en garde contre l’éventualité qui en pouvait sortir.

Quoi qu’il en soit, c’était la paix, il était libre : et dans les termes où la solution s’annonçait, l’Angleterre se trouverait également en liberté de répondre à l’invitation pressante qu’il avait eu la bonne fortune de lui adresser par avance.

Le texte des préliminaires, quand il lui fut communiqué, était bien de nature à accroître sa satisfaction ; il y trouvait, en effet, en termes exprès, cette garantie de sa conquête de Silésie qui était l’objet de ses vœux et qu’il n’avait jamais cessé de solliciter. Et ce qui peut-être lui fut aussi agréable que la chose elle-même, c’est que Sandwich eut l’attention de lui faire connaître sans délai cette disposition si désirée, tandis que Saint-Séverin fit la faute de n’y pas songer. Dès lors, il était en droit d’en attribuer tout le mérite, et d’en rapporter toute la reconnaissance à la seule Angleterre. Puisieulx, à la vérité, averti de la négligence de son agent, s’efforça de la réparer. C’était la France, assura ce ministre, qui n’avait jamais cessé d’insister pour faire confirmer une conquête qu’elle avait toujours regardée comme son avantage personnel. Mais il était trop tard, le bienfait avait perdu le mérite de la nouveauté, et Frédéric

  1. Legge au duc de Newcastle. Berlin, 11 mai 1748. (Correspondance de Prusse. — Record office.) — Cet entretien est raconta dans des termes assez semblables par Frédéric lui-même. — Pol. Corr., t. VI, p. 100.