Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était décidée à s’opposer formellement à la réalisation d’un tel dessein.

C’était une étrange manière de détourner la conversation, et la promesse d’un concours contre un danger lointain et probablement imaginaire était une mince compensation au refus de toute assistance immédiate contre un grief présent. Kaunitz eût été excusable de n’y voir qu’une plaisanterie d’un goût médiocre. Il se borna à dire qu’il croyait volontiers que le roi de France ne songerait pas à disputer la dignité impériale à l’Autriche pour en faire don à un souverain dont la puissance serait bien plus à craindre pour les intérêts de sa couronne et les libertés germaniques, et il se retira à la fois piqué et découragé[1].

Ce n’était pas le compte de Saint-Séverin, à qui quelques mots jetés par Kaunitz, dans son entretien avec Tercier, avaient fait craindre que l’Autriche, si on la poussait à bout, ne finît par se rejeter dans les bras, ou plutôt aux pieds de ses anciens alliés, et n’obtint d’eux quelques concessions qui lui permettraient de rentrer en grâce. Cette réconciliation entre les ennemis de la France (si elle avait lieu) lui enlèverait précisément le seul fruit véritable qu’il se vantait, on l’a vu, d’avoir tiré de sa négociation. Il lui importait donc de tenir Kaunitz en espérance et en quelque sorte en haleine ; mais la difficulté était de le faire révenir après s’être vu contraint de lui refuser la seule chose qu’il demandât, et qu’il mît du prix à obtenir. L’occasion naturelle se trouva pourtant, et Saint-Séverin ne perdit pas un moment pour la saisir.

Bartenstein avait bien jugé quand il prévoyait que les signataires des préliminaires auraient quelque peine à s’entendre sur bien des points que, dans leur hâte à conclure, ils avaient négligé de tirer au clair ; une dissidence de ce genre s’éleva en effet au sujet de la date qui devait servir de point de départ à la restitution réciproque des provinces conquises. La France voulait en faire remonter les effets au jour de la signature des préliminaires : l’Angleterre, tenant à garder, le plus longtemps possible ses conquêtes maritimes, demandait à retarder l’exécution jusqu’à la conclusion du traité définitif : on pouvait la soupçonner de vouloir ainsi se ménager le temps d’achever la démolition des défenses qui protégeaient le Cap-Breton et le fort de Louisbourg : opération qui, soustraite par la distance à toute surveillance, pourrait être menée à fin sans qu’on en fût même prévenu. Le dissentiment, ne put rester

  1. Kaunitz à Marie-Thérèse, 25-29 juin 1748. — Beer, p. 45, 46. — Il paraîtrait que l’idée de la conversion de Frédéric fut alors généralement répandue. On la trouve mentionnée dans les correspondances du ministre d’Angleterre en Russie.