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à ajouter à sa déclaration et que c’était à prendre ou à laisser. Réflexion faite, on trouva qu’il valait mieux se contenter d’une acceptation conditionnelle que de s’exposer à une rupture absolue. Acte fut donc donné à Kaunitz de son adhésion, mais en le prévenant d’avance que dans la suite de la négociation on regarderait ses réserves comme nulles et on n’en tiendrait aucun compte. — « Après tout, disait Saint-Séverin à Kaunitz, dans un entretien qui suivit cette conférence, en signant les préliminaires, nous n’avons pas pris l’engagement d’intervenir en Italie à main armée pour y exercer sur vous une contrainte, et ce ne sont pas les flottes anglaises que vous avez à y craindre. » Et il laissa entendre qu’il était mandé à Compiègne pour entretenir verbalement de la situation le roi et ses ministres, et que c’était là à peu près le langage qu’il comptait leur tenir. Il est vrai qu’au même moment, il affirmait à Sandwich que son voyage n’avait pas, dans sa pensée, d’autre but que de préparer les mesures qu’ils auraient à prendre en commun, si l’Autriche persistait dans son attitude de résistance et de réserve[1].

Ces paroles étaient consolantes et se rapprochaient assez de la promesse d’indifférence que désirait l’impératrice et que Kaunitz était chargé d’obtenir. Ce n’étaient pourtant que des paroles, et le moindre écrit aurait mieux valu. C’est à quoi il paraîtrait que Kaunitz réfléchit, mais un peu tard, quand il eut laissé partir Saint-Séverin pour se rendre à l’appel royal et alors qu’il eût été difficile de courir après lui. Mais Saint-Séverin avait laissé à Aix en son absence, pour veiller aux affaires, son secrétaire d’ambassade Terrier, que j’ai déjà nommé et à qui une capacité reconnue avait valu (on le savait) la pleine confiance de son chef. Ce fut à ce modeste agent que, faute de mieux, Kaunitz crut devoir s’adresser, en usant avec lui d’une ouverture de cœur qui ne laissa pas de l’étonner un peu. Il fallait, lui dit-il, que l’on sût enfin à quoi s’en tenir sur ce que voulait la France. L’Autriche ne pouvait continuer à marcher à l’aventure et elle devait se former, ce que dans la langue diplomatique du temps on appelait un système. Si ce n’était pas avec la France, ce serait donc avec ses anciens alliés qu’elle devrait lier de nouveau sa partie, et il ne manquerait pas de gens qui la pressaient d’y revenir. Mais pourquoi donc la France tiendrait-elle à ce qui pouvait accroître la situation du roi de Sardaigne ? Est-ce que le traité de Worms n’avait pas été fait contre elle dans la ferveur de la guerre et avec le dessein avoué d’exclure la maison de Bourbon d’Italie ? Et est-ce que la France ne voyait

  1. Sandwich à Newcastle, 19 mai 1718. — Treaty papas. — Record office. — Beer, p. 12. — Kaunitz à Marie-Thérèse, 26 mai 1748.