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Tout est là évidemment aujourd’hui en Angleterre. Tous les partis se préparent à la dissolution comme si elle devait être prochaine. Tout dépend de ce qui peut arriver d’un jour à l’autre, d’un incident imprévu, de la tournure que va prendre cette session qui vient de s’ouvrir. Lord Salisbury a sans doute affecté jusqu’ici une certaine impassibilité presque ironique devant les succès croissans des libéraux dans les élections partielles. Il s’est dit qu’il n’y avait rien de pressé, qu’il gardait toujours une majorité, qu’il avait dans tous les cas, d’ici aux élections régulières, dix-huit mois de pouvoir pendant lesquels il se chargeait de conduire les affaires extérieures de l’Angleterre et de régler avec son hardi neveu, M. Balfour, les affaires d’Irlande. C’est possible, lord Salisbury ne manque pas d’assurance et de confiance. Tout peut changer cependant à tout instant. La meilleure preuve que tout peut changer, c’est qu’il y a peu de jours, dès le début de la session, à propos d’une motion d’un Irlandais, M. Sexton, le ministère s’est vu réduit à une majorité d’une vingtaine de voix. Les conservateurs, soit négligence, soit qu’ils aient déjà eux-mêmes le sentiment de la fin prochaine du parlement, ne se sont pas trouvés là pour voter. Le moindre incident peut ainsi précipiter les choses, déconcerter lord Salisbury dans sa politique de temporisation et le contraindre à hâter cette dissolution qu’il aurait voulu ajourner. C’est d’autant plus vraisemblable ou possible, que tout maintenant semble conspirer pour le dénoûment, que la fortune ne sourit plus décidément à la politique conservatrice. Le ministère a voulu sans doute frapper un grand coup ou se donner au moins un air de libéralisme par une réforme destinée à frapper les esprits, et M. Balfour, le brillant complice de lord Salisbury dans les affaires d’Irlande, a porté au parlement, dès l’ouverture de la session, un projet prétendant doter l’île sœur de ce qu’on appelle le local government.

Assurément, c’était une idée, qui pouvait avoir sa valeur et peut-être quelque succès, d’opposer à la politique un peu vague, - un peu hasardeuse du home-rule un vaste système d’autonomie locale. Malheureusement le projet de M. Balfour ressemble à une mystification. Ce qu’il a l’air d’accorder, il le retire aussitôt, et en paraissant favoriser l’Irlande, il l’assujettit à un régime exceptionnel de restrictions. Il crée des conseils de comtés, des conseils de districts ; seulement il les compose en grande partie de fonctionnaires anglais, en annulant à peu près la représentation directe du pays. Il accorde à ces conseils le droit de délibérer, de prendre certaines décisions ; seulement il attribue en même temps à des magistrats institués par la reine le droit de casser les décisions, même d’exercer une certaine surveillance morale allant jusqu’à la répression sur ces conseils. Bref, c’est un mirage de « gouvernement local » encore plus qu’une réalité, qui a provoqué aussitôt les