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doute la politique y est pour quelque chose ; le centre est un parti si influent et si fortement constitué qu’il est presque impossible de faire voter sans son concours des crédits pour l’armée ou pour la marine. Mais en se rapprochant des catholiques, l’empereur obéit à des sympathies naturelles ; comment ne se sentirait-il pas attiré vers un parti qui, ainsi que lui, considère la religion comme le remède de tous les maux, la source de tous les biens ?

Ce n’est pas seulement pour complaire à ses nouveaux amis, c’est pour se plaire à lui-même qu’il vient de soumettre à la chambre des députés ce fameux projet de loi qui rend l’enseignement religieux rigoureusement obligatoire et qui restitue au clergé des divers cultes l’inspection, le contrôle, la surveillance de l’école. Si ce projet a causé dans toutes les classes de la société prussienne une si vive émotion, cela tient moins aux mesures proposées qu’aux tendances qu’elles révèlent. On craint que ce ne soit le premier essai d’un système qui sera appliqué plus tard à l’enseignement secondaire et, que sait-on ? un jour peut-être à l’enseignement supérieur. L’Université de Berlin a jeté un cri d’alarme ; 83 de ses professeurs, parmi lesquels figurent les plus illustres, ont adressé au parlement un pressant appel et l’ont adjuré de se tenir en garde contre l’esprit confessionnel, de soustraire l’école à toute autre influence que celle de l’État, de ne pas mettre en tutelle les instituteurs et en danger « les fruits d’une culture intellectuelle séculaire, qui est pour la Prusse la plus sûre garantie de sa cohésion nationale. »

L’empereur disait, le 24 février : — « Nous traversons une période de trouble et d’agitation. Des jours plus tranquilles suivront, si notre peuple se recueille, s’examine et, sans se laisser abuser par des voix étrangères, se fie à Dieu et aux efforts prévoyans de son souverain héréditaire. » — C’est une situation délicate que celle d’un souverain romantique dont les sujets sont les moins romantiques des hommes, et un roi de Prusse, pays où fleurissent les industries savantes, le rationalisme et l’ironie, doit y regarder à deux fois avant de se brouiller avec les universités, qui ont joué un si grand rôle dans la formation de l’empire allemand. Quand don Quichotte eut été désarçonné par le chevalier de la Blanche-Lune, Sancho, voyant son seigneur mordre la poussière, se demandait avec ébahissement d’où pouvait bien sortir l’indomptable paladin qui avait vaincu cette fleur de chevalerie et réduit sa gloire en fumée. On découvrit après coup que ce paladin au nez camard, au teint blême, à la grande bouche railleuse, s’appelait Carrasco, que c’était un simple bachelier, qui avait pris ses licences à Salamanque.


G. VALBERT.