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osé, il a bandé son arc, et on a vu tomber un Titan qui n’avait jamais connu la défaite.

Des temps meilleurs, des jours plus heureux étaient venus. Guillaume II avait le cœur sur la main, et son sourire disait : « Venez à moi ; mon joug est doux et mon fardeau léger. » Il y eut alors une véritable trêve du Seigneur ; tous les partis demeuraient dans l’attente. M. Eugène Richter et les progressistes renaissaient eux-mêmes à l’espérance et voyaient se rouvrir pour eux les chemins qui mènent aux emplois. Ils ne tardèrent pas à revenir de leurs illusions. Dans la séance du Reichstag du 28 février 1891, M. de Caprivi trouva l’occasion de rompre avec eux, de leur rappeler toutes les excellentes lois qu’ils avaient rejetées, de leur déclarer qu’il se passait à merveille de leur approbation et faisait peu de cas de leur amitié. Il termina son discours en ces termes : « Nous tenons à avoir une bonne conscience, et, si jamais les circonstances l’exigeaient, nous saurions vous prouver aussi que nous avons la main pesante et ferme. » Cette péroraison fut vivement applaudie des nationaux-libéraux, qui se promettaient d’accaparer toutes les places, toutes les faveurs. Ils ont fait à leur tour de pénibles expériences, on leur a donné de grands dégoûts, et dernièrement on les a vus pour la première fois, depuis de longues années, s’allier aux progressistes pour tenir en échec le gouvernement. Malgré les vives protestations de M. de Caprivi, ils ont voté d’un commun accord la réforme des tribunaux militaires et une résolution tendant à faciliter le droit de plainte aux soldats que leurs sous-officiers mettent à la torture ou contraignent de mâcher le bout de leurs chaussettes sales.

L’ère des difficultés est venue, et elle devait venir. Guillaume II est un de ces princes réformateurs qui ont le visage tourné vers le passé et pour qui réformer, c’est restaurer. Strauss avait comparé jadis son grand-oncle Frédéric-Guillaume IV à Julien l’Apostat. Il paraît tenir beaucoup de son grand-oncle ; il a comme lui la parole imagée et intempérante, et comme lui aussi, il fait consister le progrès à verser le vieux vin dans des vaisseaux neufs. La démocratie socialiste est à ses yeux l’incarnation moderne de l’esprit satanique ; mais ce n’est point par des mesures d’exception qu’il prétend venir à bout de ce dangereux ennemi ; il veut combattre le génie du mal par de bonnes lois, qui inoculeront à son peuple l’esprit d’obédience, de soumission religieuse et tous les respects salutaires. C’est là sa préoccupation dominante, la pensée qui revient à travers toutes les autres. Que de fois M. de Caprivi n’a-t-il pas dit aux chambres : « Votez ce que nous vous demandons, et vous opposerez une digue de plus à la démocratie socialiste ! » Guillaume II s’appuie aujourd’hui sur le parti du centre, et on peut s’étonner que le chef de l’église évangélique fasse cause commune avec les ultramontains. Sans