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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

et, à les voir rentrer le soir, si gaies et si semblables l’une à l’autre, on ne savait quelle était la plus jeune des deux[1].

Le roi et la reine de Grèce, qui aiment la vie de famille, sont en même temps fort sociables et fort hospitaliers. Un de leurs plus grands plaisirs est de se rendre, le dimanche, avec des amis, à une petite maison de campagne qu’ils possèdent à l’entrée du Pirée, sur l’emplacement du tombeau de Thémistocle. Quand la mouche royale, portant en poupe le pavillon blanc barré d’une croix bleue, traverse la rade, les vaisseaux anglais mettent sur le pont leurs fantassins rouges aux casques blancs ; les navires français sonnent et battent aux champs, et les musiques jouent une petite quadrette danoise, air favori du roi.

Les bals du palais ont été organisés, pendant longtemps, par le célèbre colonel Euthyme Hadji-Petro, aide-de-camp de Sa Majesté, presque aussi connu sur le boulevard des Italiens que sur le boulevard du Stade. Il était le fils de cet Hadji-Petro, dont Edmond About a raconté les aventures extraordinaires, en les exagérant un peu. Le pauvre colonel est mort, il y a quelque temps, et tout le monde en Grèce, excepté ceux qui désiraient sa place, l’a sincèrement regretté. Il était fort gai, fort avenant, très bon enfant, malgré ses moustaches terribles. Depuis une dizaine d’années, il faisait danser tout le monde, depuis les grands-croix de l’Ordre du Sauveur jusqu’aux jeunes surnuméraires du bureau de police. On lui écrivait, on l’arrêtait dans la rue pour lui demander un billet de faveur. Il ne refusait jamais, et envoyait le billet presque toujours.

Quelques heures avant l’arrivée des invités, il arpentait, en faisant traîner son grand sabre, les salons, le fumoir, le buffet. Quand il avait constaté que tout était en ordre, quand il avait rangé en bataille, dans le vestibule, la section d’efzones chargée de rendre les honneurs, quand il avait donné au chef de musique toutes ses instructions, il attendait, la conscience tranquille. Peu à peu, des groupes arrivaient, déposaient leurs effets entre les mains des valets vêtus de bleu, et entraient dans la grande salle, avec une allure qui dénotait à la fois un certain respect pour le maître de la maison, et cette fierté naturelle qui fait croire à l’Hellène qu’il est chez lui lorsqu’il est chez son roi. Un usage bizarre veut que, jusqu’à l’arrivée de la cour, les femmes aillent d’un côté, les hommes de l’autre. À part cette coutume, rien dans ces fêtes de famille ne rappelle l’étiquette allemande, les chambellans burlesques et les costumes archaïques, chers au roi Othon. De loin en loin, quelques fustanelles tuyautées, reliques vénérables

  1. La princesse Alexandra a épousé, en 1889, le grand-duc Paul de Russie. Elle est morte, il y a quelques mois, à l’âge de vingt et-un ans.