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engagement. Vers cinq heures du matin, son arrière-garde n’avait pas encore dépassé la Courtille, laissant dans les fossés, près de la porte du Temple, des bagages qui ne pouvaient plus avancer ; la tête de colonne sortait de Popincourt et approchait de la porte Saint-Antoine, qui semble encore mieux barricadée, mieux gardée que les autres. Le bastion qui la précède, le long parapet de l’Arsenal, sont occupés par la milice bourgeoise, garnis de mousquetaires, mèche allumée ; la Bastille montre la gueule de ses canons ; Condé peut se croire sous les murs d’une place ennemie. En se retournant, il découvre l’armée du Roi, qui a aussi marché la nuit ; elle couronne les hauteurs de Belleville, descend sur Charonne ; les éclaireurs vont jusqu’à la Seine. En avant, en arrière, toutes les routes, toutes les portes sont fermées. Pas une issue. De toutes parts, la mort s’avance, inflexible. Encore quelques heures, Condé et sa poignée d’hommes seront écrasés par les soldats de Rocroy et de Lens contre la muraille impitoyable de Paris. — Alors il prit une résolution héroïque.


III. — LA PATTE D’OIE DE FAUBOURG SAINT-ANTOINE. COMBAT HÉROÏQUE. LE CANON DE LA BASTILLE.

Non, il ne restera pas adossé à ce mur fatal, piteusement arrêté par cette porte close, au pied de la lugubre forteresse qui projette au loin l’ombre menaçante de ses hautes tours. Il ira chercher, provoquer le combat. Quelques officiers l’entourent : « Je ne vous promets pas la victoire, au moins nous ne nous laisserons pas égorger comme des veaux ; » et il explique son plan, distribue les rôles.

En face de lui s’ouvre une patte d’oie : trois rues en éventail, ou plutôt trois chemins qui mènent à Charonne, à Vincennes, à Charenton, bordés de murs, d’enclos, jardins, maisonnettes ; çà et là, surtout près des carrefours, des groupes de maisons plus élevées et plus solides, peuplées d’artisans, de négocians ; enfin, sur plus d’un point, les vastes bâtimens et les hautes murailles des couvens ; l’abbaye Saint-Antoine forme comme une citadelle au milieu du cours de Vincennes. L’aspect des lieux a bien changé depuis deux siècles et demi ; la patte d’oie existe encore avec ses trois rues en éventail. Si, prenant la place de la Bastille pour centre, on décrit un arc de cercle de 1,500 à 1,800 mètres de rayon, sur un développement d’environ 1,500, entre les rues de Charonne et de Charenton, on obtient un secteur coupé en deux par la grande rue du faubourg ; c’est dans ce secteur que fut livré le combat du 2 juillet 1652. En ce jour, à environ 1,500 ou 1,800 mètres du centre,