les regards de la papauté s’étendent au-delà des plaines de France. L’univers n’est pas encore, tout entier, fait à notre image, et nous ne pouvons toujours juger des autres par nous-mêmes.
La France n’est pas l’Europe, et l’Europe même n’est plus la Terre. Jamais il n’a été plus vrai, le mot du Christ : il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste. En dehors de notre vieux monde romain qui forme son patrimoine primitif, Rome aperçoit dans la chrétienté, dont les limites vont sans cesse s’élargissant, trois ou quatre mondes nouveaux qui grandissent et se peuplent rapidement. Ces nouveaux-venus encore jeunes et déjà pleins de force, qui surgissent de la nuit, à l’Occident et à l’Orient, Rome se rappelle que, avant qu’ils eussent un nom, ils ont, eux aussi, été donnés en héritage au pêcheur de Galilée. Et l’Église se dit tout bas qu’elle peut trouver bientôt, chez eux, un champ plus vaste et un sol plus libre que dans notre Europe vieillie, aux terres épuisées. — Et moi aussi, bien souvent, attardé dans Saint-Pierre, à l’approche de l’angélus du soir, quand, au-dessus de ma tête, je voyais les derniers rayons du soleil s’éteindre sur l’or des mosaïques de la coupole et l’ombre envahir les larges voûtes de la nef, je me demandais, malgré moi, si le flambeau jadis confié à Rome et porté de l’Orient à nos races occidentales ne. devait pas, encore une fois, se déplacer, et si, après avoir, durant tant de générations, éclairé et réchauffé l’univers, notre Europe méditerranéenne n’allait point, à son tour, retomber dans l’obscurité et le froid de la nuit. N’est-il pas écrit quelque part : Candelabrum movebitur ? — Les siècles sont comme un jour devant le Seigneur, et lui seul sait à quelles races et à quel continent aura, dans quelques siècles, passé le flambeau.
Rome elle-même l’ignore ; mais ses yeux ont toujours été attirés par les terres vierges et les peuples neufs. Le massif palais qu’habitent les papes est haut ; il domine le Borgo et les quartiers voisins, et des appartemens pontificaux où il vit en prisonnier, les regards du saint-père s’étendent, par-dessus la ville et la campagne, jusqu’aux croupes violacées des monts Albains ; mais qu’est ce grandiose horizon auprès des perspectives que découvrent, des fenêtres du Vatican, les yeux de l’esprit ? De toutes les demeures terrestres, c’est assurément celle d’où la vue porte le plus loin ; quel panorama faire entrer en comparaison ? Les papes ont, de tout temps, été habitués à regarder jusqu’aux extrémités de l’univers. Aujourd’hui surtout qu’ils conservent à peine, en Europe, un coin