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point que les âmes le concernent ; les âmes, il en a reçu la garde, il sait que c’est son affaire ; mais il est obligé d’attendre qu’elles viennent à lui, et il ne peut atteindre celles qui auraient le plus besoin de ses paroles et de ses secours ; il n’ose aller aux vieux ou aux jeunes qui ne savent plus le chemin de l’Église. Lui aussi, comme l’officier, il tend à s’enfermer dans la pratique minutieuse et mécanique de ses devoirs professionnels ; il croit avoir rempli sa tâche quand il a chanté les vêpres et fait réciter le catéchisme. Sa haute mission, il est inconsciemment porté à en faire un métier comme un autre ; il n’en comprend plus guère l’importance sociale ; ou la sent-il encore, il ne lui est plus guère permis de le montrer. Banni de l’école, exclu du bureau de bienfaisance, suspect à l’administration, regardé avec une défiance malveillante ou une rancune jalouse par le maire et l’instituteur, tenu à distance, comme un voisin compromettant, par tous les petits fonctionnaires, employés de la commune ou de l’Etat, espionné par le garde champêtre et sans cesse guetté par le débitant, exposé aux dénonciations anonymes de la feuille locale, il se cloître peu à peu dans son église et son presbytère, avec son bréviaire et ses livres, heureux de se faire oublier. Il vit isolé, silencieux, n’osant toujours lever les yeux par-dessus le mur de son jardin. Le monde lui est fermé, — non-seulement le vaste monde, à l’existence fiévreuse et énervante des grandes villes, — mais le petit monde routinier et endormi, provincial et campagnard, qui l’entoure ; nos préjugés et nos méfiances lui défendent de s’y mêler ; et ainsi lui, l’homme du dévoûment par vocation, il prend l’habitude de vivre en célibataire égoïste, occupé surtout de son maigre bien-être, se faisant petit, cherchant a à ne pas faire parler ; » il passe ses matinées à réciter des oremus devant des bancs vides, ses après-midi à planter ses choux et à tailler ses rosiers. Il avait cependant, ce curé, devenu presque inutile, une fonction à remplir au village ou dans le faubourg, un rôle, non point politique, mais social, ce qui est tout différent ; et là où les mœurs locales le lui ont conservé, là où l’opinion ne le lui interdit point, la famille du paysan ou de l’artisan, le père, l’enfant et le jeune homme, la veuve et le vieillard se trouvent bien de ses avis. Il y avait là, sur place, naguère, en chaque paroisse, un conseiller affectueux et désintéressé, au besoin un arbitre gratuit, un pacificateur pour les brouilles domestiques ou les querelles d’intérêt, un homme voué par sa fonction au rapprochement des hommes. Aujourd’hui, elle a presque partout été détruite, cette influence conciliatrice dont les pauvres gens profitaient encore plus que les riches ; et dans les campagnes françaises où il en subsiste encore des restes, en