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divine, les compare aux extrémités d’une chaîne dont nous devons « tenir fortement les deux bouts, » quoique nos yeux ne voient pas toujours le « milieu par où l’enchaînement se continue. » J’en dirai autant de la liberté du travail et de la liberté des syndicats. Parce qu’il nous semble parfois malaisé de les concilier, nous n’avons pas le droit de lâcher l’une pour l’autre ; nous devons, au contraire, nous tenir ferme à toutes deux, sans en laisser échapper aucune. Pour les mettre d’accord, nul besoin, du reste, de recourir au mystère ou au miracle. Ces deux libertés qui, dans leur apparente opposition, se complètent et se redressent, quand, jusqu’ici, a-t-on sérieusement, en France du moins, tenté de les faire vivre ensemble ? Ce que nos pères n’ont pas su, ou n’ont pas osé, nous sommes contraints de le faire. Le problème s’impose à nous, et notre fin de siècle ne peut l’éluder. À cela, en somme, se ramène tout le problème social, c’est à-dire le problème du travail ; il n’a rien d’insoluble dans les termes ; c’est une équation entre deux libertés qui ne sont point contradictoires. Pour le résoudre, il ne faut ni génie, ni grande science. Ce qu’il faut, aux détenteurs du pouvoir, pour faire cohabiter ces deux libertés si portées à faire mauvais ménage, la liberté du travail et la liberté d’association, ce n’est guère que de la loyauté et de la probité. C’est assez, pour cela, d’un peu d’énergie et d’un peu d’esprit de suite. Tranchons le mot, il suffit que le gouvernement, l’administration, la police ne trahissent pas leur devoir. Point n’est besoin que l’État sorte de ses attributions ; il suffit, au contraire, qu’il accomplisse sa fonction essentielle qui sera toujours d’assurer la paix de la rue, avec le respect des droits de chacun.

De toutes les lois ou de toutes les réformes réclamées de la France contemporaine, si l’on me demande quelle est, à mon sens, la plus urgente et la plus importante, je répondrai : c’est une loi sur la liberté d’association, — une loi qui assure enfin, à tous les Français, ce que leur ont vainement promis tant de constitutions mortes : le plein et libre exercice du droit d’association. Cette loi, il nous la faudrait également pour nos besoins sociaux, pour nos besoins économiques, pour nos besoins religieux et moraux. Rien, pour l’avenir de la France, ne vaudrait pareille réforme ; avec cela, elle pourrait braver bien des crises ; elle saurait traverser jusqu’aux expériences les plus dangereuses, — à commencer par la séparation de l’Église et de l’État, puisqu’il semble bien que la république n’ait plus la force d’en épargner longtemps l’épreuve au pays. Pareille loi serait vraiment une loi sociale ; et c’est ici que la législation peut être un moyen de salut ; — non point par ce que le législateur se permet d’enjoindre aux sociétés ou d’imposer aux individus ; mais, tout au rebours, par la liberté que