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LE BERRY.


fices humains planent comme une réminiscence, dans certains lieux déserts parsemés de roches granitiques, à Bussac et à Crevant, par exemple. Les fantômes, les cadavres mutilés, peuplent les landes et les larges chemins abandonnés devenus des « pâtureaux. » On y devine que les superstitions du moyen âge, souvent hideuses, ont dû plus d’une fois tourner ici au burlesque, en sabbats obscènes, en moines bourrus qui s’en allaient, menaçans et plaintifs, frapper aux portes des maisons dans la nuit. Le souvenir semble s’en perpétuer dans ces monstres dont les sculpteurs des cathédrales gothiques ont légué à la postérité les têtes bestiales.

Et par-delà ces lugubres visions, bien au-dessus d’elles, on sent comme un esprit simple qui voltige entre ciel et terre. C’est l’âme du paysan des campagnes berrichonnes, âme toujours simple, malgré une finesse innée, si bien mise en relief par les romans champêtres de George Sand, âme loyale et fortement attachée à cette seconde patrie dont parle Cicéron, et qui n’est autre que le coin de terre où nous naissons. N’est-ce donc rien, lorsque des romanciers affirment que l’homme des champs est pourri jusqu’à la moelle, de reconnaître que le caractère des habitans de ce qui fut l’ancien Berry, caractère si bien en harmonie avec la douceur d’un ciel où rarement gronde l’orage, est resté bon, hospitalier, honnête, même après les siècles, où le pays qui nous occupe fut marqué par des invasions, des combats de seigneur à seigneur et des guerres religieuses !

Ils sont nombreux, les motifs qui ont fait du Berry une terre fidèle à ses traditions. Cette province, fermée d’un côté par l’Allier et la Loire, bordée à peu près partout par les solitudes de la Sologne, du Gâtinais, du Bourbonnais, longtemps sans grandes voies de communication, est restée étrangère aux invasions modernes et aux grandes luttes qui, à tant d’époques, ensanglantèrent nos frontières. Après Waterloo, les armées alliées s’interdirent de franchir la Loire. À la chute du second empire, une patrouille de uhlans fit un raid jusqu’à Reuilly, mais pour se rabattre aussitôt sur Orléans. Bourges et le château de Valençay eurent le grand bonheur d’être préservés du contact de l’ennemi.

En remontant plus haut, on voit bien que la Terreur fit son apparition en Berry sous les traits de délégués de la Convention ; mais ces émissaires, quoique armés d’un pouvoir absolu, ne frappèrent que des mots, c’est-à-dire qu’ils débaptisèrent des rues, des places et des villes, pour leur donner des noms en rapport avec les célébrités du temps. La guerre civile n’y sévit point comme dans les provinces de l’ouest. La révolution de 89 y fut même