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d’avoir mêlé à cette histoire de mensonge et de honte la pureté d’un prêtre et d’un tout jeune prêtre, un cœur naïf, ignorant du mal et comme velouté encore de son innocence et de ses illusions. Là est l’originalité, l’émotion discrète et la grâce furtive. Étonnement douloureux, frisson de l’âme interdite et blessée comme en sa pudeur par la nudité du péché, mélange d’horreur naturelle et de surnaturelle charité devant la réalité du vice, l’abbé Pierre exprime tout cela non-seulement par des mots justes et touchans avec simplicité, mais par des gestes plus éloquens peut-être que ses paroles. C’est en lui le premier qu’un mensonge de la menteuse éveille les soupçons ; c’est sur son front, le plus pur, que passent les premières ombres. Un jour, il a cru voir la jeune femme sortir d’un hôtel de la rue de Varennes ; il le lui dit ; elle se défend, mais avec embarras. Alors, sans insister de la voix, il insiste du regard. De quel regard profond, attristé ! Et dans les yeux qui répondent aux siens à peine a-t-il vu la faute et lu l’aveu, que de ses mains tremblantes il ouvre son bréviaire, à la fois pour se détourner du mal et prier Dieu de le pardonner.

Ce rôle, le meilleur qui soit dans la pièce, à moins qu’il ne soit à côté de la pièce, en est aussi le mieux joué, par un tout jeune comédien, M. Burguet, délicieux d’innocence, de piété et de miséricorde. Mme Pasca est, comme dans l’Obstacle, la mère de M. Raphaël Duflos, mère très noble d’un fils très passionné, et Mlle Sizos ploie avec des grâces minaudières sous un fardeau trop lourd à son frêle talent.


Les pieuses poupées de M. Maurice Bouchor ont représenté leur mystère annuel : après Tobie et Noël, la Légende de sainte Cécile ; la vie des saints après la Bible et l’Évangile. Toute l’Écriture y passera. Le néo-christianisme gagne ; de plus en plus il y a de l’encens dans l’air. Les marionnettes même ont le goût du divin ; des pantins jouent l’histoire sainte, et Guignol parle comme les Bollandistes.

Sainte Cécile est plus que ne le fut et ne pouvait l’être Noël, un drame véritable, et je l’en aime un peu moins. Noël ! récit mélodieux, méditation profonde et attendrie, immobile tableau de la plus belle des nuits et de la plus précieuse qui jamais ait enveloppé le monde. Tout y était auguste et recueilli. On ne faisait qu’annoncer, attendre, contempler et adorer Dieu. Peu d’action et de passion, surtout de passion mauvaise, car les méchans devenaient bons tout de suite ; et sous la bise de décembre miraculeusement attiédie, les fleurs d’avril étaient écloses.

M. Bouchor a voulu donner à son nouveau mystère plus de mouvement et de réalité. C’est presque un Polyeucte en miniature que jouent les gentils personnages ; cette fois ils ont de vrais cœurs humains dans