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Méridional son félibrige, l’un et l’autre y regrettent par moment leur village, et y maudissent la centralisation.

Je ne puis croire que les chemins de fer, la disparition de certains costumes, l’usage de la langue française, là où un patois local était seul parlé, aient absolument tout nivelé. Puisqu’il est fréquent que l’on plaise mieux par ses défauts que par ses qualités, je me permettrai de demander si la Normandie n’est pas toujours par excellence la terre de la chicane ? l’Aquitaine et l’Angoumois, celle des liesses gourmandes ? La Gascogne aurait-elle cessé d’être le pays des spirituelles hâbleries et des tranche-montagnes ? la Provence, le berceau des félibres ? la Bretagne, la gardienne de la foi ? Et le Berry, qui doit faire le sujet de cette étude, est-il donc changé au point que nous ne puissions plus retrouver dans l’habitant de l’Indre et du Cher, le Berrichon, tel qu’il a été dépeint par d’anciens historiens, c’est-à-dire doux, hospitalier, aimant ardemment la terre, jaloux de celle du voisin, réfractaire aux nouveautés, se laissant mourir de faim près d’un plat qui lui est inconnu, labourant son champ comme le labouraient les Gaulois, ses ancêtres aux yeux bleus, et, répondant à ceux qui veulent le faire sortir de l’ornière : « Nos pères ont fait ainsi, et nous ne saurions faire autrement. »

Pour quel motif le choix de mes études dans le passé s’est-il porté sur le Berry, quand toute autre province de France pouvait aussi bien me convenir ? En est-il, en effet, qui ne puisse aider à plaider la thèse que l’État ne perdrait rien de sa force et de son unité, si les départemens avaient le droit de se diriger quelque peu sans les lisières que Paris leur impose ? Je n’en connais pas, et, si j’ai choisi la province en question, c’est parce qu’elle fut l’un des derniers remparts de l’ancienne Gaule, la plus ancienne et la plus centrale des provinces de France, et l’un des premiers fleurons de sa couronne ; c’est parce je ne sais pas de région où, — à l’exception de la Bretagne et de la Normandie, — l’on ait cru et l’on croie encore plus aux farfadets se jouant au clair de lune sur la fougère, aux meneurs de loups, aux bêtes parlant dans les étables à l’heure où Jésus vint au monde, puis, à ces hommes sans tête qui se montrent tout à coup, la nuit, près des croix où quatre chemins se croisent. À qui déplairait-il d’entendre de nouveau dans les solitudes de la Sologne, aux étangs de la Brenne, dans les brandes d’Issoudun où ne poussent que l’ajonc et l’asphodèle, comme un écho de ces légendes à jamais disparues des villes ? À personne, sans doute. Le Berry, couvert de débris des âges mystérieux, dolmens et menhirs, semble avoir gardé dans ses légendes rustiques des souvenirs peut-être antérieurs au culte des druides. Les sacri-