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plus nous servir ; toutefois on ne fera rien sans utiliser le produit du passé.

Mais j’entends qu’on me crie : A la question ! à la seule question ! Ils ont constaté le mal ; ils prétendent en découvrir les causes ; qu’ils disent le remède, cela seul nous importe ! — On reconnaît la scène de famille que chacun de nous a vue : le médecin vient pour un cas grave, mais lent, chronique et ancien ; il diagnostique l’état du malade, la marche antérieure de l’affection ; il conseille un spécifique d’effet certain. — Impossible, s’écrie le malade, mon organisme ne le tolère plus, et je n’y crois pas. — A votre aise, répond le médecin ; il donne quelques préceptes d’hygiène, il sort ; et la famille n’a pas de termes assez durs pour qualifier cet âne bâté. — N’éveillez jamais d’espérances : ou vous les nourrirez d’un leurre, et vous ne serez plus sincère ; ou vous les désenchanterez, et elles deviendront féroces. — S’il fallait une preuve de la profondeur et de l’universalité du mal que nous étudions, on la trouverait dans l’impatience candide des jeunes gens qui accourent, partout où retentit sur ces questions une parole de bonne volonté, et qui pressent l’écrivain ou l’orateur : Vous avez le remède ! Dites vite que vous avez le remède ! Pour un peu, ils s’écrieraient, comme les juifs rassemblés aux Encénies : Quousque animam nostram tollis ? Si tu es Christus, die nobis palam ! Mais le Christ était le Christ et pouvait répondre.

Cependant les plus audacieux proposent leur remède. On connaît celui de Tolstoï : abandon des villes, retour aux champs, travail manuel, communisme fraternel. C’est d’une exécution difficile, et qui souffrira quelques délais. M. Darmesteter invite ses contemporains à se remettre sous la direction des prophètes d’Israël ; de fort honnêtes gens, mais vraiment un peu loin, et bien oubliés. D’autres croient voir quelque chose qu’on ne voit pas très bien. Les plus avisés décident sagement qu’il faut faire son devoir, tel que la conscience le dicte au temps présent, et que le reste sera donné par surcroît. On ne parle que pour mémoire, parce que chacun y pense, des médecins attitrés, de ceux qui ont charge de répéter depuis dix-huit siècles : « Venez à moi, je suis la vérité et la vie. » Il faut avouer que leur invitation n’est pas toujours engageante : quelques-uns traitent le malade comme un criminel, ils lui enjoignent de revenir en chemise et la corde au col ; ils sont fort loin du respect et de la compassion de Pascal pour « ceux qui s’emploient à chercher, n’ayant pas trouvé, ceux qui sont malheureux et raisonnables. » Mais les meilleurs de ces médecins, étant gens d’expérience et de charité, n’attendent pas le miracle qui leur ramènerait d’un coup tous les infirmes. Ils savent que des oiseaux, effarouchés par le chasseur, tournent longtemps en