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est partout d’un agréable augure. » D’abord, parce qu’elles mangent les serpens et autres bêtes nuisibles ; ensuite, parce que « l’on attribue à cet oiseau des vertus morales dont l’apparence est toujours respectable : tempérance, fidélité, piété. » Cette pieuse réputation vint peut-être à la cigogne des habitudes qui la ramenèrent toujours aux clochers, et, avant qu’il n’y eût des clochers, aux frontons des temples. Elle s’y pose, elle s’en éloigne un temps, elle y revient d’instinct. Les médailles d’Hadrien représentent un nid de cigogne posé sur le temple de la Concorde, au Capitole. « Dans les augures, l’apparition de la cigogne signifiait union et concorde… Dans les hiéroglyphes, elle signifie piété et bienfaisance. » Buffon distingue la cigogne noire, qui gîte aux lieux sauvages, sur les sapins, dans les marais du Nord ; et la blanche, de mœurs plus douces, qui apporte ses services et ses bons exemples à nos foyers. Il avoue d’ailleurs « qu’elle a presque toujours l’air triste et la contenance morne. » Il rapporte enfin l’opinion d’Alexandre de Myndes, d’après Ælien : « Les cigognes cassées de vieillesse se rendent à certaines îles de l’Océan, et là, en récompense de leur piété, elles sont changées en hommes. »

Est-ce pour cela que je pensais aux longs vols des oiseaux emblématiques, en transcrivant ci-dessus les titres de ces livres, les noms de ces écrivains qui grossissent depuis quelque temps la littérature de bonne volonté ? Ces livres, le hasard ou l’aurait de la nouveauté mêles a fait lire durant les dernières semaines ; il n’y a pas d’autre motif à leur rapprochement arbitraire, sans choix systématique. Un autre coup de filet dans les envois récens du libraire ramènerait un lot pareil ; et si je traitais à fond le sujet que je vais effleurer, il faudrait enfler cette liste de telle sorte que la bibliographie remplirait à elle seule l’espace dont je dispose.

Voici des hommes très divers. Ils viennent de tous les points de l’horizon : un Russe, un Norvégien, un juif hongrois, des Genevois, des Français. Par l’origine et l’étiquette, sinon par la communion active, ils appartiennent à tous les cultes : catholique, protestant, gréco russe, israélite. Ils sont tous d’esprit très libre, et la plupart chérissent leur temps. Ils n’ont rien de commun entre eux, sauf un trait qui les unit, comme la même chaîne rivait, à bord de la galère barbaresque, une chiourme recrutée sur tous les rivages. Et c’est le trait caractéristique de leur pensée. Ils cherchent leur âme perdue, ils la cherchent avec une angoisse pareille à celle du brave Allemand qui avait égaré son ombre. Ils témoignent d’un malaise indicible, et non pas seulement d’un malaise personnel ; ceci ne serait point nouveau, ni fait pour nous surprendre, chez des penseurs, des artistes, des cérébraux ; mais ils s’accordent à constater autour d’eux ce même malaise, cette