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sans aucun ornement architectural. Deux fenêtres les éclairent assez peu. Tout auprès de ces ouvertures, encastrés dans la muraille, se trouvent deux bancs, les sièges de pierre d’où Charlotte pouvait découvrir l’horizon. Une échauguette, ou lanterne en forme de poivrière, est placée au sommet du donjon ; immédiatement au-dessous, sur des poutres à jour laissant voir le vide et convergeant vers le centre, se dresse un instrument de torture, un cadeau peut-être, sui generis, de César à sa femme. C’est un cep ou carcan, l’un des signes visibles, avec les fourches patibulaires et le pilori, du droit de haute justice. Il est là, comme une araignée gigantesque au milieu de sa toile. Il y a un parc plein de riches essences et s’ouvrant sur des points de vue d’un grand effet. Il faut en jouir, car au-delà s’étendent les Chaumois, landes d’une grande tristesse, imprégnées des acres senteurs des genêts, des ajoncs et des bruyères roses.

Au centre du parc, à deux pas du château, est resté debout un témoin muet de la tristesse de la duchesse de Valentinois et des ébats de sa fille Loïse. C’est un if colossal, aux racines monstrueuses, quatre ou cinq fois centenaire, et ne tenant debout qu’à l’aide de béquilles. Pour l’étayer, il a fallu employer des poutres et des blocs de roche. Des baies d’un rouge écarlate, se détachant ainsi que des gouttelettes de sang sur le vert sombre du feuillage, attestent que sa sève est loin d’être épuisée.

L’église est à cent pas du château. Un sentier couvert y conduit. En entrant, au pied de l’autel, sont deux tombeaux dont les dalles noires ne portent aucune description. Deux membres de la famille de Bourbon-Busset y reposent. A droite, formant un des bras de la croix que toute église bien construite doit figurer, se trouve la petite chapelle édifiée en 1521 par Claustre, « tailleur d’images » et constructeur du mausolée. Là se trouve le cœur de l’infortunée veuve de César Borgia ; sur la dalle funéraire qui le recouvre se lit : « Là gist le cueur de très haulte et très puissante dame Charlotte Dalbret, en son vivant vefve de très hault puissant prince Domp Cesard, duc de Valentinois, comte de Diois, seigneur d’Issouldun et de la Motte de Feuilly, laquelle trespassa à sond. lieu de la Motte… du mois de mars, l’an de grâce mil cinq cens quatorze. » Tout cela paraît fort délaissé ; Charlotte d’Albret était vouée aux abandons.


EDMOND PLAUCHUT.