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que les Allemands font leurs prisonniers quand ils les tiennent, pour obtenir plus grande finance : maudits soient-ils, ce sont gens sans pitié et sans honneur, et aussi on n’en devroit nul prendre à merci[1]. »

De Paris, le connétable, après une pointe en Auvergne, se rendit en Poitou ; il prit les villes de Bressuire, Chauvigny, Moncontour et Montmorillon. Devant La Rochelle, l’amiral espagnol Bocanegra, venu au secours de cette ville sur la demande du roi des Français, battait, de son côté, l’escadre anglaise, et s’emparait du vaisseau sur lequel était le trésor que le roi Edouard d’Angleterre destinait au paiement de ses troupes. Ceci se passait au commencement de 1372. A la même date, Aymon Rose humiliait encore notre ennemi devant Harfleur. Les Anglais occupaient toujours Poitiers ; mais avant de donner l’assaut à cette ville, le connétable voulut s’emparer de Sainte-Sévère, la dernière place forte que l’ennemi eût en son pouvoir dans le Berry. Il s’y présenta avec 4,000 gens d’armes, et sans perdre une minute, en compagnie des ducs de Berry et de Bourbon, du sire de Glisson et du belliqueux abbé de Malepaye, il étudia les défenses de la ville. Elles étaient considérables : murailles hautes et épaisses, tours massives, fossés profonds, garnison vaillante et nombreuse.

L’un des plus empoignans épisodes du moyen âge en Berry est celui évoqué à Sainte-Sévère, par l’aspect d’une tour en ruine, couronnée de vieux lierre, seul débris, aujourd’hui, de ce qui fut un des points les mieux fortifiés de l’ancienne France. Sainte-Sévère était à triples murailles, baignée par les eaux de l’Indre et flanquée sur ses angles par des donjons aux pointes élancées. On la considérait comme imprenable. Un seul et irrésistible assaut devait pourtant l’enlever aux Anglais. C’est un incident de peu d’importance qui en précipita l’attaque. Un homme d’armes du connétable avait laissé tomber par mégarde sa hache dans les fossés. Il jura de la ravoir, mais non sans prier les sentinelles anglaises de l’épargner et de ne pas tirer de flèches sur lui pendant qu’il irait chercher l’objet échappé de ses mains. Les Anglais le criblèrent de traits, mais sans aucun effet, car il portait une armure d’acier à l’épreuve des flèches. L’homme d’armes ayant appelé ses compagnons à l’aide, ceux-ci accoururent au nombre de quatre cents environ, escaladèrent vivement l’escarpe jusqu’au pied du mur et commencèrent l’attaque sans en avoir reçu l’ordre. Du Guesclin déjeunait quand on vint lui faire part de ce qui se passait. Aussitôt, et comme quand une alerte survenait à l’heure

  1. Froissart, liv. Ier, part, II, p. 623.