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répandue dans la campagne et dans les parcs, joyeuse et endimanchée. Bureaux, ateliers, boutiques, avaient suspendu les affaires, renvoyé leur monde de commis et de travailleurs. A une journée ensoleillée, — et sans vent, ce qui est plus rare dans cette région tourmentée, — succédait un soir calme et clair. Les étoiles se montraient, piquaient de leurs clartés scintillantes un ciel lumineux encore et dont aucun nuage n’altérait la limpidité. Là-bas, du côté des docks et de la rivière, la tournée habituelle des policemen et des gardes s’accomplissait paisiblement, au pas régulier de promenade, quand, vers une heure du matin, les surveillans du bassin Sandon entendirent ou crurent entendre le bruit d’une chute, suivi d’un fracas d’eau jaillissante. Ils se penchent, regardent, et rien ne se montre sur la surface tranquille. Fausse alerte, ils se sont trompés. Cependant, un quart d’heure après, lorsque leur ronde les ramène à l’endroit suspect, ils aperçoivent, à cinquante mètres, une forme encore indistincte qui, sous l’impulsion du flot, s’approche doucement du quai. Alors on reconnaît qu’on est en présence d’un objet très familier aux témoins de cette scène, un de ces sacs en grosse toile noire où les marins ont coutume de serrer leurs effets. En pareil lieu, la trouvaille n’était pas singulière ; quelque matelot qui avait laissé tomber le paquet dans le fleuve. Lestement, l’épave est crochée, retirée de l’eau non sans peine, hissée à terre et ouverte. Brusquement, les sauveteurs se relèvent, muets de surprise. Sous deux couvertures de laine, ils ont découvert une scie aux dents maculées de sang, un grand couteau, puis, tout au fond de l’enveloppe souillée, le corps mutilé d’un enfant dont une large blessure a tranché nettement la gorge, d’une oreille à l’autre. Les mains sont attachées derrière le dos, les jambes séparées du tronc à la hauteur du genou. Le sac contient encore deux morceaux de papier d’emballage ; on remarque, au coin de l’un des fragmens, une étiquette déchirée. Le cadavre est complètement habillé, il ne lui manque que les chaussures et le cap bien connu dont se coiffent les jeunes Anglais. Dans les poches, une pièce d’argent et un penny.

Si horrible que fut le spectacle, il n’était pas pour faire perdre la tête à des hommes naturellement impassibles et que leurs fonctions placent chaque jour en contact avec les plus hideux épisodes du crime. Rapidement, ils se concertent, sifflent à l’aide, et en attendant transportent leur découverte au dead-house le plus rapproché, sorte de morgue et de poste de secours dont chacun des docks est pourvu. Un médecin accourt à l’appel du téléphone, il procède à une première inspection des blessures et des vêtemens de la victime, et déclare brièvement que la mort a été déterminée