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Il n’en fallait pas moins, dès le lendemain, envoyer la pièce et chercher une ratification à Versailles et à Londres. On peut supposer avec quelle anxiété les trois signataires, on aurait dit volontiers les trois complices, attendaient la réponse qui leur ferait connaître l’impression causée par leur brusque opération à leur cour et dans leur patrie. Au premier moment, Saint-Séverin voulait partir lui-même pour aller plaider sa cause, en passant d’abord par Maëstricht pour y gagner, s’il le pouvait, le maréchal de Saxe. Réflexion faite, il se borna à envoyer son premier secrétaire, Tercier, agent déjà très estimé (le même qui devait être destiné plus tard aux premiers emplois du ministère), en le chargeant d’ajouter à sa dépêche toutes sortes d’explications et de justifications verbales, et en lui remettant de plus des lettres pour le comte d’Argenson, le maréchal de Noailles et plusieurs personnages influens de la cour. Il avait soin d’ailleurs, dans sa dépêche, de n’exprimer son inquiétude qu’en la déguisant par l’accent de la joie et même du triomphe : « J’ai cru devoir, disait-il, prendre la balle au bond et terminer à la fois toutes les querelles de terre et de mer. Je désire que le roi soit content. J’ai craint, jusqu’au dernier moment, qu’il arrivât chose qui culbutât l’édifice. C’est la peur que j’ai faite à lord Sandwich d’un accommodement opposé (il n’en indique pas autrement la nature) qui l’a forcé à doubler de jambes. Plus je lis et j’examine mes instructions, plus je trouve que j’en ai rempli tous les objets au-delà de ce que je pouvais espérer… J’aurais bien voulu supprimer l’article qui regarde le prétendant et celui du vaisseau de permission : le sieur Tercier a été témoin de la violente agitation où ils m’ont mis ; j’ai été vingt fois sur le point de rompre, mais je n’ai vu que le bien de la chose… Je suis au comble de la joie d’avoir été l’instrument d’un ouvrage aussi glorieux pour le règne de Sa Majesté qu’à la France[1]. »

La crainte que Saint-Séverin devait éprouver au fond de l’âme, bien qu’il n’eût garde d’en parler, c’était qu’ayant tout fait lui-même pour préparer son ministre à l’accommodement avec l’Autriche, et même réussi à l’y résigner, on trouvât singulier que ce fût lui aussi qui, du soir au lendemain, proposât de passer du blanc au noir. Tant de promptitude et de souplesse dans les mouvemens ne sont pas des qualités communes et peuvent surprendre ceux qui n’en sont pas doués au même degré : aussi la première impression de Puisieulx fut-elle celle d’un homme qui, entré péniblement dans un ordre d’idées, a quelque peine aussi à en sortir. La nouvelle lui arriva, à la vérité, au moment même où il

  1. Saint-Séverin à Puisieulx, 29 avril, 1er mai 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)