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commerciales dont elle jouissait avant la guerre, et en lui faisant savoir à l’oreille que la mine était déjà placée sous les remparts de Berg-op Zoom, et que, si on perdait seulement un jour, la république serait privée d’une de ses plus importantes barrières.

Par ce mélange de caresses et de menaces, on obtint qu’un troisième contreseing fût placé à côté de ceux que portait déjà le document préparé. Ce premier pas fait, non sans quelque peine, Saint-Séverin aurait encore désiré en rester là. Il lui en coûtait, on le conçoit, et son trouble le laissa voir, d’aller trouver Kaunitz, qu’il avait leurré de fausses espérances, ainsi que le ministre d’Espagne, qu’il venait d’accuser à tort, et de s’exposer de leur part à un accueil injurieux. Mais Sandwich, qui n’avait rien de pareil à se reprocher, ne comprenant rien à cette hésitation tardive, y crut voir un piège pour se dégager après l’avoir compromis, et, n’entendant pas raillerie, se fâcha cette fois tout de bon. D’ailleurs, avec le sang-froid britannique, une fois son parti pris, il allait tout droit au but, et l’idée qu’on pût y faire plus de façon ne lui entrait pas dans l’esprit. Son impatience fut telle que peu s’en fallut que, même à cette dernière heure, une rupture ne pût s’ensuivre. — « Cet Italien, disait-il plus tard en rapportant cet incident final, est bien l’homme le plus difficile à traiter que j’aie rencontré ; il change à tout moment de langage. » De gré ou de force, il fallut donc que Saint-Séverin se décidât à l’accompagner chez Kaunitz, qui, par un singulier hasard, avait convié ce jour-là tous les plénipotentiaires à dîner.

L’air d’intimité, joint à l’apparence d’embarras que Kaunitz remarqua, dès leur entrée, chez ses deux collègues, lui donna tout de suite à penser, et il se proposait de les sonder l’un et l’autre après le repas ; mais ils semblèrent s’être donné le mot pour se retirer tous deux en sortant de table. Trois heures après, tous les autres convives étant partis, il voyait revenir Sandwich tenant à la main la pièce de conviction, dont il fut invité à prendre connaissance.

La surprise, la confusion, la colère dont l’empreinte dut passer successivement sur le visage de Kaunitz pendant cette lecture sont plus aisées à imaginer qu’à dépeindre. — « Jamais, finit-il par s’écrier, ma souveraine n’acceptera ces conditions, et jamais je ne me déciderai à les lui proposer. » — Puis il ajouta qu’avant de prêter foi à un fait d’une telle gravité, il lui fallait le témoignage verbal et personnel du ministre de France. — « Allez donc le trouver, » lui dit Sandwich, offrant en même temps de l’aider à obtenir de meilleures conditions, mais sans lui laisser aucun espoir d’y réussir.

Chez Saint-Séverin, où Kaunitz se rendit sur-le-champ,