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restaient contestés entre nous et en particulier ce qui regardait Dunkerque et le marquisat de Final, sans quoi il devait m’avenir que, cette occasion perdue, on n’en pourrait retrouver d’autres, vu que le temps nécessaire pour attendre le retour de nos courriers suffirait à nos alliés pour achever d’embarrasser nos affaires et que si je ne lui donnais pas une réponse à ce moment même (le seul qui nous restât), il serait obligé lui-même de prendre d’autres mesures et de considérer notre négociation comme terminée[1]. »

La vérité m’oblige de convenir que, toute recherche soigneusement faite, je n’ai pu découvrir un mot de vrai dans le fait allégué par Saint-Séverin. Ni Autriche, ni Espagne ne songeaient à préparer une si noire trahison, et du prétendu traité passé entre eux pas plus que de l’entrevue nocturne de leurs ambassadeurs, il n’y a pas le moindre vestige dans les correspondances de Kaunitz, qui ne l’aurait certainement pas laissé ignorer à Marie-Thérèse. Saint-Séverin lui-même, qui probablement ne tenait pas à se vanter de son artifice, n’en touche pas un mot à son ministre ; le tout était donc, pour parler comme Molière, tiré de l’imaginative de Saint-Séverin. Seulement la loyauté de l’Espagne n’était pas en bon renom ; on l’avait accusée plusieurs fois, et on la soupçonnait toujours de vouloir faire ses affaires à elle seule : le dessein qu’on lui prêtait n’avait donc rien en soi d’invraisemblable ; de plus, l’attitude inquiète de son ministre, le duc de Sotomayor, honnête homme d’un esprit borné et ombrageux qui, ne recevant de Saint-Séverin que des demi-confidences, se doutait qu’on ne lui disait pas tout et s’agitait pour savoir davantage, donnait une certaine apparence à la supposition.

Sandwich donna donc tête baissée dans le piège, non pourtant sans quelque trouble de conscience. — « Je conviens, dit-il, que ce langage de M. de Saint-Séverin me mit dans un grand embarras, car je voyais toutes les raisons possibles d’être convaincu de la vérité de ce qu’il me dit sur les négociations de la cour de Madrid et de Vienne. Il était dur cependant, soit de prendre sur moi d’agir sur des points importans en dehors de mes instructions, soit d’être celui qui aurait refusé une offre de paix, dans un moment où tous les rapports que je reçois me montrent que les sujets de Sa Majesté en ont besoin… et où l’affection que Sa Majesté porte à son peuple la lui fait désirer. »

La conséquence fat qu’on se mit à l’œuvre séance tenante, et

  1. Sandwich au duc de Newcastle, 28 avril 1748. (Treaty Papers. — Record office.)