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de la réflexion, en emportant une note écrite des avances qui lui étaient faites[1].

Rentré chez lui, sa surprise restait extrême, mais son embarras n’était pas moindre. Des deux solutions que, depuis plusieurs semaines, il tenait en balance, on a vu que son penchant, aussi bien instinctif que raisonné, était pour celle qui amenait la réconciliation avec l’Autriche, et il se croyait arrivé à la veille de l’obtenir. Mais le dernier débat même qu’il venait d’avoir avec Kaunitz, sans le détourner de cette solution préférée, en avait mis pourtant à découvert le côté faible : il avait bien fallu reconnaître que le résultat était destiné à rester imparfait et incertain tant qu’à l’arrangement convenu manquerait l’adhésion de l’Angleterre, qui pouvait ne l’accepter que tardivement et à regret. C’était le désavantage de l’Autriche que, dans une négociation dont les échanges réciproques étaient la base, elle avait tout à recevoir et rien à donner. L’Angleterre avait, au contraire, un objet des plus précieux à offrir, puisqu’elle tenait ses conquêtes maritimes, et n’avait qu’à ouvrir la main pour nous les rendre. De plus, l’Angleterre, même abandonnée par l’Autriche, pouvait encore prolonger la lutte avec ses escadres ; l’Autriche, privée des contingens piémontais en Italie, hollandais et britanniques en Flandre, ne pouvait disputer le terrain même un seul jour. En un mot, avec l’Autriche, la paix n’était encore qu’une promesse faite sous condition et à échéance ; avec l’Angleterre, c’était une jouissance immédiate, apportant à la France une joie et une surprise dont lui-même Saint-Séverin aurait tout l’honneur. La tentation était donc forte de profiter de cette occasion inespérée pour tout terminer d’un seul coup. Mais, d’un autre côté, ne s’était-il pas trop avancé lui-même ? N’avait-il pas engagé son gouvernement trop avant pour qu’il tût honorable et même possible de reculer ? Et si, pendant qu’il se lancerait sur une piste nouvelle, arrivait de Vienne la réponse favorable qu’on pouvait espérer, dans quelle situation serait-il alors placé ? Comment refuser d’accepter ce qu’il avait lui-même proposé et provoqué ? Vouloir courir les deux chances à la fois, n’était-ce pas s’exposer à les perdre l’une et l’autre ?

Pour ne pas se trouver pris de la sorte dans les fils croisés d’une double intrigue, il ne fallait pas moins à Saint-Séverin que cette habileté dont ses amis, comme ses détracteurs, faisaient honneur à la race dont il sortait ; et de fait le tour d’adresse et le trait

  1. Saint-Séverin à Puisieulx, 25 et 26 avril 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Sandwich à Newcastle, 28 avril 1748. — (Treaty Papers. — Record office.)