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mot écrit, car le roi ne veut connaître ni en noir, ni en blanc, les traités de Worms et de Breslau, qui lui sont aussi odieux qu’à la reine de Hongrie, mais par d’autres raisons. Mais le silence même suffira-t-il ? Quoi que nous fassions sur cet article, le roi de Prusse en aura connaissance et nous en saura toujours mauvais gré ; c’est ce qu’il faudrait éviter ! Bref, il finit par laisser à Saint-Séverin une sorte de blanc-seing pour conclure ou rompre suivant les circonstances. — « Le roi, écrit-il dans un billet particulier, me charge de vous dire qu’il ne vous fera pas pendre pour avoir pris quelque chose sur vous. » Et deux jours après : « Le roi ne craindra jamais de vous mettre à votre aise et de vous confier son ultimatum[1]. »

Quand ces instructions ambiguës arrivèrent à destination, Saint-Séverin avait déjà pris quelque chose sur lui et quelque chose même de très important et de très décisif, mais dans un sens tout opposé à ce que lui-même avait fait prévoir.

Voici, en effet, ce qui s’était passé. Dans une conférence tenue à l’hôtel de ville d’Aix-la-Chapelle, entre tous les plénipotentiaires, au sujet des prétentions du ministre de Gênes, Saint-Séverin remarqua que Sandwich le recherchait avec une certaine affectation. — « Je ne m’y fiais nullement, dit-il, ne croyant pas qu’il y ait rien à faire avec l’Angleterre. » Et effectivement dans leurs dernières rencontres, Sandwich s’était montré encore assez raide, surtout sur les sujets qui, touchant à un point d’honneur royal, excitaient les plus légitimes susceptibilités de la France. Saint-Séverin désira pourtant savoir d’où provenait ce changement apparent d’humeur et demanda lui-même un rendez-vous pour le lendemain, « afin de récapituler, dit-il, les divers points sur lesquels on était soit en accord, soit en dissidence. » A la veille d’une rupture possible et même probable, c’était une bonne précaution, ne fût-ce que pour préparer de quoi la motiver et la justifier.

Mais, dès le premier moment de l’entretien, quelle ne fut pas sa surprise de trouver le ton de l’Anglais sensiblement radouci, et dans l’énumération des sujets de litige, de se voir offrir non sans doute des concessions tout entières, mais du moins des atténuations qui enlevaient à la plupart des prétentions britanniques ce qu’elles avaient d’aigu et d’impérieux ; en un mot, une moitié du chemin fait et une espèce d’invite, à lui adressée, pour faire l’autre ! Ce changement à vue, nous le savons, résultait de l’effet produit par l’événement de Maëstricht, et Saint-Séverin dut s’en douter, mais la transaction était pourtant si brusque qu’il demanda le temps

  1. Puisieulx à Saint-Séverin, 17-24-26 avril, 1er mai 1748 et passim.