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autrichiennes comme une ressource précieuse à saisir contre les embarras qu’on doit prévoir. De gros nuages, suivant lui, se rassemblent à l’horizon. « Les Russes, dit-il, n’arriveront pas de sitôt, mais enfin ils arriveront… le mouvement des cercles (germaniques) chemine et prend forme et consistance : le nombre des ennemis augmente tous les jours, et bien que dans mon maintien et mes discours, j’affecte toute la tranquillité possible, je vous avoue qu’il s’en faut beaucoup que je ne le sois (sic). Un seul événement peut nous jeter dans des embarras et des malheurs affreux. » C’est tout au plus, en vérité, s’il ne prévoit pas le cas où on serait obligé de défendre l’Alsace contre l’invasion allemande.

Évidemment, rien n’est sérieux dans de telles craintes et n’a pu lui paraître tel. Les Russes, que Marie-Thérèse a cessé de presser, avancent avec une lenteur magistrale ; la diète germanique, dont elle n’a jamais pu secouer l’inertie, est moins disposée que jamais à se mettre en mouvement. On ne peut donc voir dans ces terreurs affectées que la malice d’un agent qui se fait un jeu de la pusillanimité de son supérieur. Mais sa véritable pensée est celle-ci : « Je finirai par une réflexion, c’est que, si nous ne concluons pas avec la cour de Vienne, cette assemblée-ci embarrassera, embrouillera les affaires au lieu de les avancer : les soupçons, les méfiances, les mystères se succéderont et se multiplieront à l’infini. » Réflexion très judicieuse et qui lui suffirait pour justifier son inclination pour l’Autriche s’il ne voulait se défendre du soupçon de partialité[1].

Si cette insistance, faite autant au nom de mauvaises que de bonnes raisons, ne produisit pas tout de suite sur l’esprit de Puisieulx toute l’impression que Saint-Séverin pouvait désirer, au moins l’effet fut-il assez grand pour jeter l’esprit du timide ministre dans une extrême perplexité, entre la crainte de laisser échapper une occasion favorable et l’inquiétude d’offenser Berlin. Des notes de sa main jetées en marge du récit de Saint-Séverin, et traduites ensuite dans ses dépêches en termes plus mesurés, portent la trace visible de ce trouble. Il semble bien reconnaître que tout se réduit désormais avec l’Autriche à des termes sur lesquels on pourrait s’entendre. Il serait encore préférable de traiter avec l’Angleterre, « mais il est à craindre qu’elle ne soit instruite de notre négociation avec l’Autriche, et que son dessein ne soit plutôt de l’embarrasser que de conclure avec nous. » — Puis vient le point capital de l’engagement demandé au sujet de la Silésie. Saint-Séverin est pleinement approuvé de n’avoir pas voulu laisser à cet égard un

  1. Saint-Séverin à Puisieulx, 17-26 avril 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)