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Bourbon, l’un en Allemagne avec ses partisans et l’autre en Italie… On peut se résigner à subir la volonté de l’ennemi quand la nécessité l’exige, et alors le sacrifice a ses limites ; mais c’est trop en vérité que de vouloir nous sacrifier du même coup sans nécessité à la Prusse et à la Sardaigne, et c’est cependant ce que l’Angleterre veut et elle ne s’en cache pas[1]. »

La Prusse et la Sardaigne, ce sont donc là les deux mots qui reviennent à toutes les lignes, les deux craintes, je dirais volontiers les deux fantômes qui hantent par des visions vraiment prophétiques l’imagination de l’héritière de Charles-Quint ; c’est la menace de ces deux ambitions rivales qu’elle aperçoit et qu’elle poursuit dans les deux traités dont l’un lui a en quelque sorte subtilisé, par une promesse restée vaine, une partie de son patrimoine italien, tandis que l’autre lui arrachait, avec la Silésie, comme un lambeau de sa chair.

Aussi la première de ces conventions détestées, elle entend la déchirer à l’heure même. — « Je suis prête à accomplir le traité de Worms stante reciproco, s’écrie-t-elle (dans un langage bizarrement mêlé de formules juridiques et d’images passionnées), pourvu qu’on l’accomplisse aussi à mon égard. Sinon, je suis déliée de tout engagement, je le déclare devant le monde entier. » Quant à l’autre traité que la force lui a imposé et l’oblige encore de subir, au moins ne veut-elle pas souffrir que l’adhésion de la France vienne y ajouter une valeur de plus, et elle exige encore dans ces nouvelles instructions, comme dans les précédentes, un engagement à cet égard, sinon sous la forme solennelle d’un article de traité, au moins par une déclaration verbale, dont une attestation resterait entre ses mains.

Ce nouveau terrain ainsi nettement établi, elle attend de pied ferme la demande annoncée du ministre anglais, porteur d’une mission qui lui est connue d’avance. Ce ministre était toujours notre ancienne connaissance, sir Thomas Robinson, que le lecteur de ces études, s’il a bonne mémoire, peut se rappeler avoir déjà vu à plusieurs reprises, chargé de la tâche ingrate de réclamer de l’impératrice des cessions territoriales, et par suite aux prises avec elle dans des discussions orageuses. Mais, cette fois, il arrivait plus résigné qu’inquiet, certain d’avance qu’il n’obtiendrait rien, et s’attendant à ne pas être écouté jusqu’au bout. Il savait parfaitement comment l’impératrice comprenait le traité de Worms, elle-même lui en ayant plusieurs fois donné l’interprétation. Il comptait donc qu’au premier mot qu’il prononcerait sur la nécessité d’une cession nouvelle en Italie, on lui répondrait que la

  1. Marie-Thérèse à Kaunitz, 9, 13, 18 avril 1748. (Archives de Vienne.)