Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/748

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déloyale. Résolue, pour ne pas souffrir cette pression, à gagner de vitesse ceux qui prétendaient l’exercer, elle se décida, quelques jours même avant que l’investissement de Maëstricht fût opéré, à faire un pas de plus pour se rapprocher des vues de la France et faciliter elle-même une solution dont elle voulait dicter et non subir les conditions ; ainsi l’opération faite si à propos par Maurice agissait en réalité comme une épée à deux tranchans, frappant à droite et à gauche, et décidait aussi bien Marie-Thérèse que les conseillers de George II à rechercher, on dirait volontiers à courtiser plus que jamais les bonnes dispositions et presque l’amitié de la France.

Seulement le moyen imaginé dans cette vue par Marie-Thérèse est si singulier qu’on aurait peine à le prendre au sérieux si on n’y voyait un trait caractéristique du soin qu’elle mettait à concilier ses principes de moralité et de justice politique avec la défense passionnée de ses intérêts. Puisque la France et l’Espagne tenaient à garder la Savoie dont leurs armées étaient encore en possession, on les autoriserait à y placer l’établissement italien qu’elles réclamaient : mais afin de ne pas exproprier le roi de Sardaigne sans indemnité d’un bien patrimonial, ce serait elle-même, l’impératrice, qui en fournirait sur son propre domaine la compensation. Ce qu’elle proposait ainsi en échange, c’était ce même duché de Parme qu’elle avait offert pour former l’apanage de l’infant. Il devait rester bien entendu que ce troc bizarre serait soumis aux mêmes conditions que l’offre dont il était destiné à tenir lieu, c’est-à-dire que l’effet cesserait et que chacun rentrerait dans son bien propre si l’infant venait à mourir sans postérité ou était appelé au trône d’Espagne ou de Naples. Ainsi, par cette résolution, suivant elle, aussi généreuse que mesurée, tous les droits seraient ménagés, et la transaction, disait-elle en propres termes, toujours due à un sacrifice dont elle faisait les frais, conserverait de sa part le même caractère de grandeur d’âme. De malins observateurs auraient pu pourtant faire remarquer que la magnanimité ne coûtait pas cher, puisque, par l’annulation du traité de Worms qu’elle se proposait toujours de réclamer, elle reprenait d’une main à Charles-Emmanuel bien plus qu’elle ne lui offrait de l’autre, et qu’ainsi, la balance faite, l’opération se solderait largement en sa faveur.

Rien n’est plus curieux, et il faut en convenir, plus pénible à lire que l’exposition de ce système compliqué qu’on trouve très largement développé, avec beaucoup de réserves et d’ambages, dans deux ou trois dépêches successives dues probablement à la plume de quelque commis principal de chancellerie. Mais de loin en loin la forme pesante et embarrassée est tout d’un coup relevée par des expressions à la fois vives et lumineuses, tenant souvent