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Rien ne peut dépeindre, en effet, le trouble causé par cette surprise vraiment foudroyante, à la fois au quartier-général des alliés, dans la réunion des plénipotentiaires à Aix-la-Chapelle, et dans tous les centres politiques ou populaires de la Hollande. Là surtout l’épouvante fut générale et se communiqua de cité en cité avec la rapidité d’une chaîne électrique, produisant, comme il arrive quand le peuple est en émoi, les effets les plus opposés. Ici c’était un abattement subit, et le mot de paix, que naguère personne ne pouvait prononcer tout haut qu’au péril de sa vie, s’échappait des poitrines avec l’accent du désespoir. Ailleurs, au contraire, c’était un redoublement d’exaspération et de fanatisme ; et contre l’invasion française, qu’on attendait d’heure en heure, on réclamait les mesures les plus extrêmes, comme la levée de toutes les digues et l’inondation de toutes les provinces maritimes. D’autres voulaient aller en masse se jeter aux pieds du roi de Prusse pour le supplier de ne pas laisser périr le dernier asile de la foi réformée. Puis on demandait avec angoisse ce qu’était devenu le secours des Russes, si pompeusement annoncé par le stathouder et ses amis. C’était une désolation de s’entendre répondre que les Russes étaient bien en marche, mais que, n’ayant pas encore passé la frontière d’Allemagne, ils n’arriveraient pas sur le théâtre de la guerre avant les premiers jours du mois suivant. D’ici là Maurice serait entré, par toutes les portes désormais ouvertes devant lui, et la république n’existerait plus. Au milieu de cet effarement général, le pauvre stathouder ne savait auquel entendre, d’autant plus qu’il avait au même moment des scènes violentes à subir de la part de son beau-frère Cumberland, qui lui reprochait amèrement de n’avoir rien préparé, rien prévu, tenu aucune de ses promesses, et de lui rendre par là la suite des opérations impossible[1].

Et ce n’était pas un des signes des temps les moins apparens et les moins tristes que ce découragement profond dans lequel sembla tomber le général en chef, et dont il ne prit même pas soin de faire mystère. Un ordre de se replier sur toute la ligne lut immédiatement donné par lui à toutes les troupes sous son commandement, et, à voir les termes qu’il employait pour faire part à Londres de cette résolution, on serait tenté de croire que Marie-Thérèse n’avait pas tort quand elle le soupçonnait d’être entré dans les vues secrètes d’une partie des ministres anglais, et, au lieu de se préparer à la résistance, de pousser à la conclusion d’une paix précipitée dans des conditions réglées d’avance. — « Le siège de Maëstricht va son train, écrit-il au ministre Pelham, et nous ne

  1. Chiquet à Puisieulx, 18 avril 1748. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)