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Il proteste que sa cour est disposée à sceller une réconciliation parfaite avec Votre Majesté impériale et royale, et que, quant à lui, dans sa négociation secrète, il a reçu l’ordre formel de se mettre à l’œuvre avec moi loyalement et de tout son cœur. » — Enfin, Saint-Séverin lui-même, sans perdre un instant son sérieux, raconte à son ministre qu’il a donné avec une égale chaleur deux protestations confidentielles pourtant assez difficiles à mettre d’accord[1].

Les deux entretiens, bien qu’assez longs, se terminèrent encore dans les mêmes termes de courtoisie et presque de bonne amitié. Bien qu’on y eût passé en revue à peu près tous les points en litige, la discussion ne prit jamais, dans aucun des deux tête-à-tête, un caractère d’animosité ou d’aigreur. — « Tout s’est passé entre Sandwich et moi, écrit Saint-Séverin, sans la moindre vivacité, au contraire, avec l’air de la plus grande intimité et confiance. » — Avec Kaunitz, c’est aussi bien et mieux encore. — « Toute cette conversation s’est passée en douceur sans la moindre altération de part et d’autre dans le son de la voix ni dans le visage. »

Ce n’était pourtant pas que d’aucun côté on fût arrivé à se mettre d’accord : ce n’est guère l’usage, on le sait, de gens qui traitent entre eux, même de moindres intérêts, d’en venir à s’entendre, dès le premier jour. Personne n’est jamais pressé de dire son dernier mot, et chacun, en prenant position, a soin de garder derrière lui assez de terrain pour pouvoir en céder au besoin, et élève ses exigences à une hauteur dont il puisse ensuite sans trop d’inconvénient les faire descendre. C’est un marchandage qui est presque de rigueur dans tous les genres de trafic. Pour Saint-Séverin (c’était là, je l’ai dit, son avantage), la base des négociations depuis longtemps posée était simple : remise réciproque des conquêtes, et satisfaction modérée pour les alliés de la France. Sur le premier point, Sandwich paraissait cette fois disposé à prêter l’oreille, au moins en ce qui regardait les conquêtes propres à l’Angleterre ; car il refusait de laisser toucher à tout ce que le roi de Sardaigne tenait du traité de Worms, soit par concession de l’Autriche, soit aux dépens de la république de Gênes. Sur l’établissement espagnol en Italie et sur les points si délicats de la destruction du port de Dunkerque et du bannissement du

  1. Sandwich au duc de Newcastle, 27 mars 1748. (Record office.) — Kaunitz à Marie-Thérèse, 28 mars. (Archives de Vienne.) — Saint-Séverin à Puisieulx, 30 mars 1748. — (Ministère des affaires étrangères.) — Tout le récit de la négociation que je vais faire est rédigé d’après les dépêches françaises, anglaises et autrichiennes dont la comparaison et le contraste paraîtront peut-être au lecteur aussi instructifs qu’amusans. La plupart des détails sont entièrement inédits.