Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/734

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servitudes déjà très pénibles, quand elles avaient été imposées par le traité d’Utrecht, le deviendraient plus encore par les événemens survenus depuis que l’effet en avait été suspendu. On avait reconstruit les fortifications du port de Dunkerque, faudrait-il donc laisser les Anglais les raser sous nos yeux, ou travailler à leur démolition de nos propres mains ? Puis le représentant de la dynastie déchue qu’on nous demanderait de proscrire, ce n’était plus le prince oublié et vieilli qui languissait à Rome, et dont l’exil et l’âge paraissaient avoir engourdi les qualités viriles : c’était son fils, le jeune rejeton de la souche antique, le brillant guerrier qui avait un instant mis la main sur la couronne d’Ecosse, et qui, trahi par la fortune et échappé ensuite à la mort, par une suite d’aventures romanesques, venait de faire sa rentrée avec éclat dans la société parisienne, le front ceint de la double auréole de la gloire et du malheur. C’était celui-là dont la renommée importunait le roi George et qu’à tout prix il voudrait éloigner de sa frontière. Mais pour le roi de France, qui avait publiquement encouragé l’entreprise du jeune héros et qui l’avait aidé de ses vœux, secondé par la promesse de ses secours, quel chagrin, quel dégoût ne serait-ce pas non-seulement d’avoir dû l’abandonner, mais d’avoir encore à reconduire ! C’était déjà beaucoup de le laisser succomber ; mais le proscrire soi-même, n’était-ce pas un comble de honte ? La France de Fontenoy subirait-elle ainsi, avec un redoublement d’amertume, des humiliations qui n’avaient paru justifiées que par les désastres de Malplaquet et de Ramillies, et n’y aurait-il point de différence pour elle entre avoir été victorieuse avec Maurice ou vaincue par Eugène et par Marlborough ?

Ce n’était pas seulement d’ailleurs l’amour-propre du peuple anglais, c’étaient aussi des intérêts devenus très exigeans et très susceptibles qui imposaient au gouvernement britannique des ménagemens de nature à rendre la tâche des négociations épineuse et leur succès incertain. Il fallait faire droit aux réclamations d’une classe sociale dont l’influence croissait de jour en jour, et qui, engagée dans les spéculations du commerce maritime, tirait de la guerre un profit inespéré et verrait toujours la paix de mauvais œil, à quelque condition qu’elle fût conclue.

Par un singulier contraste, en effet, tandis que le trésor anglais succombait sous le poids des frais énormes causés par des armemens excessifs et par les subsides dus aux auxiliaires étrangers, — tandis que le parlement, composé en grande partie de propriétaires fonciers, se refusait à ajouter, pour faire face à ces dépenses toujours croissantes, de nouvelles charges aux contribuables, — le commerce anglais, loin de souffrir de la prolongation