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Quoiqu’un nouvelliste anglais, homme d’imagination, émule de l’historien, déjà-oublié, de la a bataille de Dorking, » se soit plu récemment à raconter dans ses plus minutieux détails la prochaine guerre, celle qui va remplir l’année 1892, et qu’il la fasse naître à Sofia, on n’en est pas là heureusement. Les armées ne sont pas encore en marche. L’empereur Guillaume II est tranquillement à Berlin, tout occupé à effacer jusqu’à la dernière trace du Kulturkampf, à faire rentrer l’enseignement religieux dans les écoles. Le général Gourko n’a pas pris encore le commandement de l’avant-garde russe, et le gouvernement du tsar a pour le moment assez à faire avec la disette et la misère qui désolent l’empire. L’Autriche est tout entière à ses tracas parlementaires, à ses luttes germano-slaves ou aux élections qui se font, à l’heure qu’il est, en Hongrie. Rien n’a bougé ni sur la Vistule, ni sur la Moselle, ni sur le Danube, — et tout s’est terminé en Bulgarie sans tant de fracas, tout simplement par l’intervention de la Porte, décidant M. Stamboulof à se soumettre, à faire justice à la France, qui n’a pas mobilisé le moindre de ses bataillons.

Il en est de l’incident bulgare comme de ces incidens d’Égypte et du Maroc qu’une circonstance fortuite a réunis récemment, qui ne créeront d’après toutes les apparences aucune complication immédiate, qui ne laissent pas néanmoins d’avoir leur gravité parce qu’ils tiennent à toute une situation dans la Méditerranée. La mort soudaine et imprévue du khédive Tewfik au Caire aurait pu, sans doute, raviver une question difficile et devenir, si [on l’avait voulu, l’occasion ou le prétexte d’explications délicates. La rapidité avec laquelle le nouveau vice-roi, le jeune Abbas-Pacha, a reçu l’investiture de la Porte et a pu succéder à son père a sauvé la transition. On ne peut cependant s’y méprendre : un changement paisible de règne sous les auspices de sir Evelyn Baring et du général Grenfell n’est pas une solution, et ces affaires égyptiennes resteront un point noir pour l’Europe, tant que l’Angleterre campera sur le Nil, tant qu’elle ne se sera pas expliquée plus nettement sur son occupation. Des incidens au Maroc comme en Égypte sont toujours une affaire grave, précisément parce qu’ils mettent en jeu tous les intérêts, parce qu’ils réveillent cet éternel problème de l’Orient et de la Méditerranée. On vient de le voir encore une fois par l’apparition soudaine et simultanée de toutes les marines devant Tanger. Ce n’est point que ce qui s’est passé à Tanger eût une bien sérieuse importance. Tout se réduisait à une révolte des indigènes contre le pacha gouverneur qui les pressurait ; mais la révolte kabyle pouvait mettre en péril la sécurité des Européens ; Tanger est un poste de premier ordre, à l’entrée du détroit de Gibraltar, à la porte de la Méditerranée, — et aussitôt sont accourus des navires anglais, français, espagnols, italiens, allemands, pour surveiller les événemens. On s’est même demandé un instant si on ne serait pas obligé de débarquer, et M. le ministre des affaires