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eu de la sagesse en Dieu d’instruire si imparfaitement son Église, et de laisser à la postérité la charge d’ajouter les parties essentielles ? » Si donc les protestans, en 1687, ne s’étaient pas encore avisés de mettre l’honneur de la réforme dans la multiplicité même et dans la diversité de ses « variations, » Bossuet n’est-il pas excusable de n’avoir pas mieux « compris » la réforme que ne l’entendaient les docteurs eux-mêmes du parti ? Ou plutôt, n’est-ce pas alors peut-être, et pour échapper à l’argumentation de Bossuet, — laquelle est effectivement invincible, si l’on commence par lui accorder que « la vérité venue de Dieu a d’abord toute sa perfection, » — que les protestans se sont avisés de se glorifier de leurs variations ? Ce serait une première conséquence de son livre, en ce cas, et il aurait obligé la réforme à voir clair dans les conséquences de son propre principe.

Mais je conçois qu’on ait droit d’exiger d’un Bossuet qu’il voie plus profondément et plus loin que les autres. Même il n’est Bossuet pour nous qu’à cette condition. Le propre du génie est d’anticiper sur l’expérience et conséquemment sur l’avenir. Permis à des Jurieu d’avoir des yeux pour ne point voir : nous demandons à un Bossuet de voir en esprit « ce que l’œil n’a point aperçu. » Je dis que l’Histoire des variations, — dont il ne faut pas séparer ici les Avertissemens aux protestans, — répond même à cette exigence. Et qu’il fallait donc qu’une fois séparé de l’Église, on allât du luthéranisme au calvinisme, du calvinisme à l’arminianisme, de l’arminianisme au socinianisme, et du socinianisme à l’indifférentisme, voilà encore ce que Bossuet a vu, et voilà ce qui est arrivé.

En vain nous parle-t-on « d’évolution des dogmes, » ce n’est qu’un mot dont on se paie. On n’évolue pas sans changer de nature, et un dogme qui évolue cesse par là même d’être un dogme. S’il a pu évoluer pour le devenir, il est fixé dès qu’il l’est devenu ; et si l’on dit que rien ne se fixe, je le sais bien, non, rien ne se fixe, ni ne demeure, mais tout coule ; — à l’exception des dogmes, et de cette vérité que deux et deux font quatre. La confusion vient ici de ce que les dogmes ont effectivement évolué dans l’histoire ; et, par exemple, il est certain que l’Incarnation ou la Trinité n’étaient pas pour les pères du Ier siècle ce qu’elles sont plus tard devenues pour ceux du concile de Nicée. Bossuet l’a quelque part admirablement expliqué, d’après saint Augustin : « Plusieurs choses étaient cachées dans les Écritures : les hérétiques séparés de l’Église l’ont agitée par des questions : ce qui s’était caché s’est découvert, et on a mieux entendu la vérité de Dieu. » Je prie ici qu’on me pardonne la comparaison, mais c’est comme si je disais que Bossuet est le plus grand écrivain de la France, et que l’on me le disputât. Selon les raisons que l’on produirait, et si c’était Pascal, ou Fénelon, ou Montesquieu que l’on lui opposât, je serais naturellement amené