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la masse des faits qu’il a dû manier, est aussi celui qui fait la vérité supérieure de son Histoire des variations. Comme Pascal a vu les jésuites, ou comme Racine a vu ses Hermione et ses Phèdre, ainsi Bossuet a vu les hommes et les choses du protestantisme, et moins « documentée, » son Histoire des variations serait encore, grâce à cette vision de génie, toute voisine de la vérité.

Aussi serait-il surprenant qu’il n’eût rien compris à la réforme, comme on l’entend dire quelquefois encore, et, au contraire, il se pourrait qu’il l’eût mieux comprise que beaucoup de protestans de nos jours. Car ils ne sont pas Bossuet ; et, dans la mesure où sa foi catholique gênait sa liberté d’esprit, je me figure que leur foi protestante gêne la leur. Si je pouvais le montrer, sans blesser ici personne, j’aurais indiqué du même coup quelle est la valeur actuelle du livre des Variations, et ce que Bossuet, en l’écrivant, a montré d’intelligence, non-seulement de tout ce qui l’avait précédé, mais encore de ce qui devait le suivre.

Car enfin, quoi ? que lui reproche-t-on ? que veut-on dire quand on lui reproche de n’avoir pas compris la réforme ? Est-ce de n’avoir pas entendu la vraie pensée de Luther sur le sujet de « la justification, » ou celle de Calvin sur la matière de « l’eucharistie ? » Non ; mais c’est de n’avoir pas vu que ces « variations, » ou ces inconstances dont il croyait se faire une arme toute-puissante contre les réformateurs, elles étaient précisément la raison d’être du protestantisme, son honneur et sa gloire. Je le veux bien. Je dis seulement que cette opinion philosophique, ou même un peu libertine, sur le droit à l’inconstance, n’était pas l’opinion de Luther. Était-elle celle d’Henri VIII quand il faisait décapiter Thomas Morus ? ou, peut-être, celle de Calvin quand il faisait brûler Michel Servet ? Cent ans encore après eux, ce n’était pas non plus l’opinion du ministre Daillé quand il écrivait, en 1662 : « La religion chrétienne n’est pas un ouvrage de l’esprit humain, mais un don du fils de Dieu… Aussi n’a-t-elle pas été formée pièce à pièce et perfectionnée peu à peu comme les productions des hommes, à qui leur infirmité ne permet pas d’achever tout d’un coup et à une seule fois ce qu’ils entreprennent. Le christianisme est sorti parfait de tout point et fourni de toutes ses parties par la main de son auteur. » Bossuet, dans son Histoire des variations, n’a pas dit autre chose. Mais il y a mieux encore. En 1687, c’est-à-dire à la veille de l’apparition de l’ouvrage de Bossuet, Jurieu lui-même, qui devait l’année suivante écrire tout le contraire, disait encore dans les premières de ses Lettres pastorales : « C’est une absurdité sensible de croire que l’Écriture ne nous a pas dit tout ce qui fait l’essence de la religion chrétienne. Je soutiens que, pour avancer cela il faut avoir perdu toute pudeur ; — ce Jurieu, on le voit, ne ménage pas ses termes. — Y aurait-il