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dans le silence farouche où s’obstinent les grandes victimes de la fatalité : l’Ajax d’Homère, l’Eurydice de Sophocle ou la Didon de Virgile.

Et puis, un courant de sympathie, de bienveillance et d’humanité traverse le rôle de Joséphin La Raynette. De toute la personne de M. Dupuis, de son visage, de sa voix, de ses gestes, vous savez quelle immense bonté rayonna toujours. Allez le voir s’empressant autour de Bouzu, prodiguant à ce « courageux1 laboureur, » à ce martyr d’une erreur judiciaire, tous les égards d’une charité réparatrice. La voilà, la voilà bien, comme il dirait lui-même, du ton que vous lui connaissez, la religion de la souffrance humaine.

Enfin, l’auteur des Pont-Biquet a découvert, ou plutôt imaginé un nouvel effet de l’amour, un rapport inattendu entre deux de nos sens : l’ouïe et un autre. Et si cela n’est pas de la psychologie, c’est peut-être du symbolisme. Et cela devient au dénoûment un ressort comique, d’un comique tout-puissant.

Nous avons loué M. Dupuis. Il est secondé, le plus drôlement du monde, par tous ses camarades, fût-ce les plus modestes, notamment une jeune bonne inconnue qui a fait sensation. Physionomie, attitude, accent, tout est bonne en elle et lui promet un bel avenir ancillaire.

C’est pour faire place aux Pont-Biquet que les Jobards ont prématurément quitté l’affiche. La jolie pièce de MM. Guinon et Denier méritait une plus longue faveur. Non pas que le sujet en fût nouveau : c’est l’éternelle opposition de l’honneur et de l’argent, des gens d’affaires et des autres, le thème de Ponsard et d’Augier. Mais les deux jeunes, tout jeunes auteurs, l’ont repris à leur manière ; ils ont dénoué leur comédie (là en est le mérite personnel) par deux scènes originales, d’un sentiment juste et délicat et de la plus touchante mélancolie.

Henri Bonardel, un jeune homme de huit cent mille francs, va épouser Aline Gallois, une jeune fille de cinq cent mille ; lui, généreux et loyal, ardemment et noblement épris ; elle, convenablement, en petite personne ordinaire. Mme Bonardel, la mère, paraît une excellente dame ; M. Gallois père, un malin, frère des Faux Bonshommes et cousin de Me Guérin. Cousin éloigné, car il n’est pas malhonnête ; un peu plus que pratique, seulement. Comme il n’est pas méchant, et que de plus, étant veuf, il avait besoin, pour sa fille, d’une compagne et d’une ménagère pour sa maison, il a recueilli sa nièce Noémie, la fille de son frère, un jobard mort sans le sou. L’humble et douce Mimi va à la cave, écrit les menus, et coiffe sa cousine.

Le jour même du contrat, Henri Bonardel, qui se présentait à un cercle, s’y voit refusé. On accuse feu M. Bonardel père d’avoir sauvé sa fortune, gagnée à la Bourse, en refusant de payer, comme dette de jeu, de grosses différences. Henri s’informe : le fait est vrai ; il reste