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wampums. Ces coquilles représentaient pour eux des idées et des phrases. Leurs messagers pouvaient emporter ainsi avec eux des discours entiers, qu’en arrivant à destination ils récitaient mot pour mot. Mais, comme le remarque M. Berger, ce ne sont pas là des écritures, ce sont des expédiens mnémoniques, des méthodes par lesquelles on se créait une mémoire artificielle. Nous n’écrivons pas quand il nous arrive de nous protéger contre nos oublis en faisant un nœud à notre mouchoir.

Ce qui approche davantage de l’écriture, c’est la pictographie, ou l’art de montrer aux yeux ce que l’esprit voit ou croit voir. Les hommes de l’époque quaternaire pratiquaient déjà cet art. Nous possédons des os ou bois de rennes, décorés de dessins et de sculptures, qui représentent quelquefois de véritables scènes. Ces dessins ne sont plus seulement des aide-mémoire, ils peuvent servir à transmettre la pensée comme à la conserver. Le jour où ces tableaux se changeront en récits, l’homme sera près d’écrire. Une scène gravée sur un rocher à Skebbervall, en Suède, nous fait assister à un débarquement d’aventuriers et à leur établissement dans cette contrée. A côté d’épisodes de chasse ou de piraterie, nous voyons des files d’embarcations, que nous pouvons compter ainsi que les guerriers qui les montent. En haut, des disques et des groupes de points indiquent à quelle époque de l’année ou de la lune se passa l’événement. Ici le dessin n’est plus du dessin. La plupart de ces bateaux sont figurés par deux lignes courbes concentriques, hérissées de petits traits parallèles, qui représentent les guerriers. Désormais l’image abrégée, tronquée, se transforme en signe, et c’est la marque de l’écriture. Dès ce jour l’homme a manifesté ce pouvoir d’abstraire qui est son privilège et qui consiste à saisir dans les choses ce qu’elles ont d’essentiel, en supprimant le reste. L’homme est peut-être le cousin du singe ; mais, en matière d’abstraction, un chimpanzé ne sera jamais qu’un novice, et c’est pourquoi il ne s’avisera jamais de parler ni d’écrire.

L’écriture, comme le dit M. Berger, est l’art de fixer la parole par des signes conventionnels, tracés à la main, qu’on appelle caractères. Ces caractères peuvent représenter ou des idées ou les sons de la parole. On appelle écriture idéographique celle qui s’attache à rendre directement les idées, et les caractères qu’elle emploie sont figuratifs. Certains hiéroglyphes sont des images très abrégées où nous pouvons reconnaître, sans trop d’effort, le soleil, la lune, une montagne, un serpent, une fleur, une sandale, un miroir. S’agit-il d’idées abstraites, on recourra aux symboles. Un homme agenouillé, les mains levées, rendra l’idée d’adoration, une lampe suspendue au plafond l’idée de nuit ; un œil ouvert signifiera la veille et la science ; la plume d’autruche rendra l’idée de justice, parce que les plumes des ailes de cet