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soient mis, pour cela, martel en tête. On honnit Voltaire parce qu’il a traité le Canada de « quelques arpens de neige. » Le mot n’est pas de lui, mais d’un personnage de son roman de Candide ou l’Optimisme. S’il avait traité le Damaraland de « quelques arpens de sables et de pierres, » le honnirait-on ? Quand vous prenez possession d’un pays comme celui-là et quand vous le gardez sans trop en rien faire, ne donnez-vous pas le droit de penser que vous y entrez comme dans une : salle d’attente, que c’est un seuil ; quel seuil et où mène-t-il ? Dire qu’il faut se défier de l’affinité de race et de langue entre Allemands et Hollandais austraux, ce serait plutôt une phrase anglaise. Ces affinités ne suffiraient nullement pour donner aux gens du Cap la plus légère envie de devenir Prussiens. Elles suffisent tout au plus pour qu’un journal paraissant à Pretoria et réputé organe officieux du gouvernement de la République du Transvaal insiste sur les avantages d’une immigration allemande au pays des boers. Elles suffisent aussi pour qu’à Berlin, à Hambourg et à Cologne, ces boers, comme enfans de la famille germanique, éveillent de l’intérêt.

Enfin, s’il y a un grand nombre d’Allemands répandus dans la colonie et dans les pays circonvoisins, ce n’est pas là le vrai sujet de crainte. Au temps de la guerre de Crimée, l’Angleterre avait soudoyé une légion germanique dont les membres licenciés obtinrent des terres en Cafrerie ; pour renforcer cet élément de colonisation militaire, des agriculteurs furent appelés de l’Allemagne du Nord, de la Prusse et du Mecklembourg, avec leurs familles. Voilà comment, il se fait qu’aujourd’hui, dans l’est du Cap, on a une population allemande assez considérable et que la locomotive s’arrête à des stations comme Berlin, Potsdam ou Braunschweig. Mais ces colons se sont afrikandérisés comme les autres, tout en conservant leur langage, ce qui ne les empêche point de parler anglais et hollandais et cafre. Il y en a aussi dans les environs de Cape-Town, où ils cultivent les flats, plaines sablonneuses, et nous avons maintes fois fait la causette avec eux. Ce sont d’excellens travailleurs, de braves gens auxquels un Français peut cordialement serrer la, main. Ils ont tiré grand parti de leurs lots de terrain maigre. Cette présence d’un élément allemand agricole n’a rien de dangereux ; on s’en félicite même. En somme, si l’Allemagne officielle n’avait pas pris pied au Damaraland, tout cela ne signifierait rien.

On se figure, nous ne savons trop pourquoi, qu’un doute plane sur ses intentions. L’absence de tout négoce dans la direction nord lait supposer que : le véritable objectif est ailleurs, peut-être sur des plateaux susceptibles de peuplement par une race européenne,