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même maladroites, qui reposent sur un grand fond de vérité universelle.

La Chartreuse de Parme est une manière de contrefaçon de Rouge et Noir. Même idée générale, mêmes personnages, entours et décors différens ; mais l’idée générale est présentée avec moins de force, les personnages sont comme émoussés et limés ; pensées et créatures ont moins de relief. Seconde épreuve d’une planche fatiguée. Jeune Français ambitieux de 1815, voilà Rouge et Noir ; jeune Italien ambitieux de 1815, voilà la Chartreuse de Parme. Le jeune Français est devenu fanatique de Napoléon et enivré de « l’esprit napoléonien » à causer avec un soldat de l’empire ; le jeûne Italien, fils d’un vainqueur de Marengo, du reste, a assisté au dernier effort de l’empire et combattu à Waterloo. Ce qui arrive à l’un dans la France de la restauration, c’est Rouge et Noir, ce qui arrive à l’autre dans l’Italie de la sainte-alliance, c’est la Chartreuse de Parme. Et tous deux ont des protecteurs, M. de La Môle, le ministre Mosca, qui se ressemblent fort ; tous deux à vingt ans ont des amies de trente ans, Mme de Rénal, la duchesse Sanseverina, qui, comme amoureuses au moins, se ressemblent parfaitement ; tous deux deviennent amoureux de jeunes filles, Mathilde de La Môle, Clelia Conti, qui ne se ressemblent point, je le reconnais, mais qui ont au moins ceci de commun qu’elles sont manquées toutes les deux, conventionnelles, l’une comme beauté aristocratique française, l’autre comme brebis allemande, à qui mieux mieux, Stendhal, admirable dans les portraits de femmes de trente ans, ne s’étant pas douté des jeunes filles. — Le fond, donc, et beaucoup de détails sont pareils. Ce qui est remarquable dans la Chartreuse de Parme, c’est une sorte d’effacement, d’amortissement de toutes choses que l’on sent en passant de la première épreuve à la seconde. Comme Julien, Fabrice, après l’enthousiasme belliqueux, se résout à la carrière ecclésiastique et aux voies obliques de l’intrigue, devient hypocrite et diplomate, prend pour modèle le cardinal de Retz ; mais, né dans l’aristocratie, protégé par la maîtresse d’un ministre, il n’a ni les efforts de Fabrice à faire, ni les sentimens de Fabrice à concevoir. Ni tension de volonté, ni ardeur d’envie, de haine et de défiance. Dès lors, il n’a point de signification. Il faut même dire : dès lors il n’a point de caractère ; car ce sont les difficultés de la lutte et l’éloignement du but, combinés avec son ambition, qui ont fait le caractère de Julien. Julien est en acte constamment, Fabrice est presque passif. Il lui arrive des choses diverses. Ce n’est pas ce qui arrive à quelqu’un qui est intéressant, c’est ce qu’il fait. L’extrême défaut de la Chartreuse de Parme, c’est l’extrême insignifiance du principal personnage et le peu