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« Aristophane fait rire une société de gens légers et aimables qui cherchaient le bonheur par tous les chemins. » Toutes les impressions sont possibles en choses de littérature et d’art ; mais celles qui sont si particulières surprennent pourtant un instant, et il a dû se rencontrer des lecteurs qui se sont demandé si Stendhal avait lu Aristophane et Molière, et, à supposer qu’il en eût lu un, quel était celui des deux qu’il n’avait pas lu. Il nous dira que c’est la civilisation de salon qui a fait naître l’abbé Delille, et c’est une opinion probable ; mais il ajoutera que « c’est, plus tard, la méfiance et la solitude comparative qui ont fait naître les odes de Béranger. » Il n’est pas banal, au moins, de trouver dans les odes de Béranger des traces et des effets de la solitude comparative. Il y a infiniment de jugemens littéraires de ce genre répandus dans les œuvres de Stendhal. Ce n’en est pas le moindre attrait. Cela émoustille. J’aimerais à croire que c’était tout ce qu’il voulait ; mais je ne le crois point ; en choses de littérature et d’art, il est furieusement sérieux. — En effet, la plupart de ses opinions littéraires lui sont dictées par son caractère, qui était, comme on sait, très désagréable, et sont violemment méprisantes à l’égard, à peu près, de toutes choses. Il a aimé Shakspeare, surtout par horreur de la littérature classique française ; il a aimé, un peu, dans sa jeunesse, les Français du XVIe siècle, et voilà tout ce qu’il a aimé. Il abhorre le XVIIe siècle, il méprise profondément Voltaire et Buffon, et quand il arrive au XIXe siècle, ses exécutions sont une hécatombe. Chateaubriand, qu’il ne distingue aucunement de Marchangy, le jette dans les convulsions. Lamartine est creux et vide, Victor Hugo exagéré, ridicule et « somnifère, » Vigny « lugubre et niais. » Tous ces gens-là sont marqués de deux défauts que Stendhal ne pardonne point, dont le premier est d’avoir ou d’affecter des sentimens religieux, et le second, très probablement, est d’avoir du talent et du succès. — Ce qu’il y a de piquant, c’est qu’avec tout cela Stendhal s’est cru romantique et a sonné la charge du mouvement romantique dans son fameux Racine et Shakspeare. Mais à la définition qu’il y donne du romantisme, et aux développemens de son idée sur ce point, on verra que s’il était précisément quelque chose, c’était le contraire même de romantique, malgré son dire. Ce n’est pas la première fois qu’à expliquer comment on est ceci ou cela, on montre d’une éclatante façon qu’on ne l’est point. La définition du romantisme par Stendhal est celle-ci : « Le romanticisme est l’art de présenter aux peuples des œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible. » Ainsi, par exemple, un type, et l’idéal peut-être du romantique, c’est