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généraliser trop vite ; ensuite, comme de vous attacher à ce que vous rencontrez, dans un peuple étranger, de grossier et de mauvais ton à vos yeux. Vous entendez siffler un Anglais bien mis, et vous en concluez que voilà un peuple bien mal élevé ; vous observez des témoignages d’affection qui vous semblent trop libres entre un Allemand et une Allemande qui ne sont que fiancés, ou même qui ne le sont pas, et vous concluez que ces gens-ci manquent de pudeur. C’est aller trop vite. Les manières et conventions sont différentes, et il n’en est que cela. Ce qui est grossier en France n’est pas tenu pour tel ailleurs, et réciproquement, et de ces différences tout extérieures et superficielles, ce n’est pas du tout des considérations sur les tempéramens des peuples qu’il faut tirer. Une statistique des suicides, des mariages jeunes, des mariages vieux, des mariages sans dot, des enfans naturels, voilà qui est sérieux, non les confidences amoureuses que Stendhal a pu recevoir en Italie, fussent-elles au nombre de deux ou trois cents. — Gardons pourtant mémoire de cette comparaison faite par Stendhal du caractère des différens peuples qu’il a connus, pour bien entrer dans sa façon de sentir et de penser, ce qui est notre objet. Ce qu’il aime, ce sont les peuples qui lui paraissent vivre selon « la bonne loi naturelle ; » ce qu’il déteste, ce sont les peuples qui, d’une façon ou d’une autre, font effort pour dompter le premier mouvement et museler un peu la bête humaine. Toute contention ou toute convention qui agît dans ce dessein l’irrite, l’inquiète ou lui déplaît. Au fond, vivre dans la volupté et la violence, l’une conséquence, mais assaisonnement aussi de l’autre, c’est où il croit bien que l’humanité devrait tendre, et d’où il croit que l’humanité devrait ne pas trop se hâter de s’éloigner. Et l’on voit pleinement ici ce que, décidément, il entend par sa chère « énergie. » Quand il en vient aux exemples, c’est en descendant du nord au sud et de la race saxonne à la race italienne qu’il trouve que l’énergie va croissant ; et, en définitive, les peuples les plus énergiques pour lui sont ceux qu’il croit qui ne se maîtrisent point. Preuve qu’il n’entendait pas par énergie ce que le commun a accoutumé d’entendre par ce mot.

Stendhal a résumé les études morales sur le sujet qui lui était le plus cher dans un petit volume intitulé de l’Amour, qui ne manque pas de mérite. Stendhal aimait l’amour et les histoires d’amour, et connaissait un assez grand nombre de manières d’aimer. Ce livre qui n’est pas composé, qui recommence dix fois, et qui se répète mille fois, peut pourtant se résumer à peu près ainsi : Des différentes sortes d’amour, — du rôle de l’imagination dans l’amour, — du rôle de la vanité dans l’amour, — de l’amour chez les différens peuples de l’Europe, — très nombreuses