Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semble, assez originales ; plus justes, autant que je puis m’y connaître, en peinture qu’en musique, mais toujours très passionnées, qui d’abord lui ont rendu de très grands services, l’ont empêché de n’être qu’un satirique morose et bilieux, ensuite ont ouvert à son esprit certaines régions qui, sans ces goûts, lui seraient restées très étrangères. Peu délicat, ayant même un certain penchant à la grossièreté ou à l’affectation de la grossièreté, il rentrait par ses goûts artistiques dans le monde des gens délicats et des sensations délicates. C’est quelque chose, quand on est un sensuel, de s’être habitué à ne pouvoir songer à sa maîtresse qu’en l’associant à une phrase de Cimarosa ou à un modelé du Corrège. Ce genre de distinction, qui consiste à ne concevoir le plaisir qu’entouré de fines jouissances artistiques et à mettre toujours un peu de beau dans le rêve que l’on fait ou le souvenir qu’on se retrace de la volupté, Stendhal l’a eu fort souvent, presque toujours, et s’est élevé ainsi de quelques degrés, vraiment, au-dessus du corps de garde. Des choses que sans cela il n’eût pas comprises, des états sociaux tout entiers qu’il n’eût que détestés, la société du temps de Léon X, par exemple, ou du temps de Louis XIV, il y entre par cette porte, les comprend et les goûte, tout en ne les aimant pas, attiré et repoussé en même temps, arrivant ainsi à des contradictions ou à des incertitudes amusantes quelquefois, mais qui ne le diminuent point, et bien au contraire, où on lui sait gré de tomber, et qu’on regretterait qu’il n’eût pas connues. — Regard prompt et sûr, curiosité passionnée, goût de l’exactitude, patience dans l’accumulation des menus détails, goût, mais non point talent des généralisations, et ici patience moindre, précipitation au contraire et légèreté, vif penchant pour les beaux-arts considérés comme élémens et assaisonnemens du bonheur : tel est, ce me semble, en ses hautes parties, l’esprit de Stendhal ; sensualité exigeante, vanité peu fine et peu réprimée, humeur d’opposition et de résistance à tout ce qui est une autorité ou prétend être une influence : telle est, ce me semble, sa complexion ; et de ce tour d’esprit tantôt servi, plus souvent gâté par ce caractère, quelles idées générales sont sorties, c’est, je crois, ce qu’il est assez intéressant d’examiner.


III

Stendhal a eu deux adorations, l’adoration de la volupté et l’adoration de l’énergie.

Il a cru voir que l’homme n’avait qu’un seul penchant, qui était de rechercher toujours la plus grande somme possible de plaisir.